Devrais-je m’incorporer ? C’est une question que Jimmy Lacoursière, fiscaliste chez Desjardins Gestion de patrimoine, se fait souvent poser par ses clients qui investissent en immobilier. Or, la réponse n’est pas toujours simple à trouver. Voici un guide qui vous aidera à y voir plus clair.
« Mes actifs dépassent le million de dollars, est-ce le temps de m’incorporer ? » « Je gère maintenant plus de 50 portes, est-ce que j’économiserais de l’impôt en créant une société ? » Il n’y a malheureusement pas de chiffre magique qui détermine à quel moment l’incorporation est une bonne décision financière.
« L’évaluation doit se faire au cas par cas en fonction de différentes considérations, dont l’aspect fiscal, mais celui-ci n’est pas forcément le critère numéro un. Il y a d’autres bonnes raisons qui rendent l’incorporation pertinente », affirme Jimmy Lacoursière.
Quant aux économies d’impôt, c’est probablement le plus grand mythe associé à l’incorporation. « Ce n’est pas toujours vrai que l’investisseur pourra bénéficier d’un taux d’imposition réduit pour petites entreprises. Dans certaines circonstances, cela pourrait même lui coûter plus cher en raison de l’intégration fiscale », ajoute-t-il.
Des questions essentielles à se poser
Alors, quand est-il avantageux de s’incorporer, c’est-à-dire de créer une société par actions qui sera une entité indépendante de son ou ses propriétaires ?
En fait, en tant qu’investisseur immobilier, vous devez d’abord vous poser quelques questions essentielles :
- Est-ce que vous comptez garder les immeubles sur le long terme ?
- Est-ce qu’il y a un potentiel de plus-value importante du parc immobilier ?
- Prévoyez-vous transférer votre patrimoine à vos enfants ?
- Songez-vous à intégrer éventuellement des actionnaires supplémentaires dans votre structure d’affaires ?
Si vous avez répondu oui à l’une ou l’autre de ces questions, l’incorporation serait une solution à envisager pour vous.
« Elle devient pertinente dans un contexte où l’investisseur veut léguer à la génération suivante plutôt que de vendre à un étranger. Cela vaut autant pour le grand que pour le petit investisseur, c’est-à-dire celui qui a moins de 12 portes et qui se qualifie encore au prêt personnel, explique Jimmy Lacoursière. Il est alors possible d’intégrer les enfants dans la société et de faire un gel successoral qui permet de transférer la plus-value du parc immobilier entre les mains des enfants ou d’une fiducie familiale. . Cette technique permet de diminuer l’impôt payable au décès en réduisant le gain en capital. »
Progressivement, les enfants pourront racheter les actions qui auront été gelées permettant à l’investisseur de récupérer son investissement initial et de différer l’impôt sur plusieurs années.
« Cette stratégie est valable si les enfants envisagent de détenir ces actifs sur le long terme. S’ils projettent de vendre, il n’y a pas d’intérêt à créer une société par actions », conseille le fiscaliste.
Partager l’actionnariat
L’incorporation est aussi indiquée pour les investisseurs qui veulent éventuellement intégrer des actionnaires de financement supplémentaires. « Cela devient plus facile pour la gestion puisqu’il n’y aura pas de transfert de titres de propriété ni de droit de mutation à payer, explique Jimmy Lacoursière. Les baux seront faits au nom de la compagnie et non à celui de l’investisseur. Il n’aura donc pas à les refaire, un avantage quand il y a des dizaines de locataires. Ce sera la même chose si l’investisseur veut racheter son ou ses actionnaires. »
Encore là, la décision de s’incorporer ne repose pas tant sur des raisons fiscales que sur la simplification de la gestion administrative.
Les inconvénients à l’incorporation
C’est important d’en tenir compte dans le processus de décision. Tout d’abord, il y a des frais juridiques et fiscaux à prévoir. « Transférer la propriété à la société se fait par mémo fiscal qui peut coûter entre 5 000 $ et 10 000 $ selon le nombre d’immeubles, précise Jimmy Lacoursière. Il faut aussi faire un transfert des actes notariés, ce qui entraîne des frais pour chacun des immeubles. »
L’incorporation engendre également des honoraires comptables pour la tenue de livre et la production des états financiers. À cela peuvent s’ajouter les frais de consultation d’autres experts (planificateur financier, fiscaliste, etc.).
Par ailleurs, en étant incorporé, vous ne pourrez plus vous qualifier pour un prêt personnel. Les prêteurs vont plutôt vous offrir un prêt commercial à un taux d’intérêt plus élevé et aux critères d’emprunt plus sévères. « Souvent, les investisseurs qui s’incorporent dès leur premier achat devront offrir un cautionnement personnel — un actif ou un revenu d’emploi — pour que le prêteur accepte de financer la société, souligne Jimmy Lacoursière. Comme celle-ci est une entité distincte, il considère que le risque est plus élevé. C’est assez rare qu’une société génère assez de revenus au départ pour payer les intérêts et le capital. Il faut donc que l’investisseur endosse le prêt. »
Il faut aussi savoir qu’il est difficile de défaire l’incorporation. « Une fois qu’un immeuble a été transféré dans la société, c’est plus compliqué de l’en sortir. On ne peut pas faire un roulement externe sans conséquence fiscale. En raison du gain en capital latent et de la récupération d’amortissement, la facture d’impôt peut être élevée. C’est pourquoi il faut bien y penser avant de décider de s’incorporer », conseille Jimmy Lacoursière.