Des prix à la pompe qui font sourciller, des délais de livraison qui s’étirent pour les articles à prix élevé et des offres d’emploi qui se multiplient : ces trois situations représentent bien les principales préoccupations économiques canadiennes, à savoir l’inflation, les perturbations de l’approvisionnement et l’immigration.
L’économiste Royce Mendes, directeur général et chef de la stratégie macroéconomique chez Desjardins, s’est joint à nous pour discuter de ces trois grands enjeux. Il a expliqué en détail ce qui est en train de se produire et a présenté les liens complexes qui les unissent.
Des ratés en approvisionnement font grimper les prix
Les augmentations du prix de l’énergie ont été exacerbées par la guerre en Ukraine, mais il faut revenir au début de la pandémie pour comprendre où les problèmes de chaîne d’approvisionnement et les augmentations de prix qui ont suivi ont commencé, soutient Mendes.
Lorsque les gens ont été confinés chez eux pendant la première vague, ils ont dépensé beaucoup moins d’argent dans les restaurants et les vacances et beaucoup plus dans le remplacement ou l’amélioration de biens matériels comme les appareils électroniques, les électroménagers et les appareils de chauffage, poursuit-il. Au même moment, la COVID a également freiné la production et a obligé les fabricants à réduire les quantités de biens qu’ils pouvaient livrer. Ils s’attendaient à la pire récession depuis la Grande Dépression, mais la demande est repartie sur les chapeaux de roue après deux mois très difficiles.
« Il n’est pas nécessaire d’avoir un doctorat en économie pour savoir que quand la demande augmente en même temps que l’offre diminue, ça cause de gros problèmes », illustre Mendes.
Il ajoute que des événements imprévus ont aggravé les problèmes d’approvisionnement, comme lorsque l’un des plus grands porte-conteneurs du monde s’est retrouvé coincé dans le canal de Suez, empêchant près de 10 G$ d’échanges commerciaux par jour pendant une semaine en mars 2021.
La guerre en Ukraine a ajouté encore plus de sable dans l’engrenage, car les usines des deux pays ont fermé et les ports et les voies de navigation ont été bloqués. Il s’attend maintenant à ce que les perturbations de la chaîne d’approvisionnement persistent pour le reste de l’année.
Plus d’emplois vacants et des salaires plus élevés font également grimper les prix
Il est peut-être difficile de s’en souvenir maintenant, mais les prix ont chuté de façon spectaculaire lorsque la pandémie a frappé pour la première fois. Lorsqu’ils sont revenus à la normale en 2021, l’inflation semblait plus élevée en raison de cette baisse initiale, selon Mendes. La plupart des économistes s’attendaient à ce que l’inflation se stabilise en 2022.
De toute évidence, cela ne s’est pas produit. Elle a atteint 5,7 % en février, soit le taux le plus élevé depuis les années 1990, en grande partie à cause de la guerre en Ukraine. Mendes a révisé ses prévisions en conséquence. Mais ce n’est pas la seule raison de cette hausse.
Il a constaté que la reprise de l’économie sous-jacente a devancé les prévisions, avec plus d’embauches et des entreprises fonctionnant plus près de leur pleine capacité. Lorsque plus de gens ont un emploi, plus d’argent est dépensé, et les entreprises ont tendance à augmenter les salaires parce qu’il est plus difficile de trouver des travailleurs à embaucher. C’est une excellente nouvelle, qui vient cependant avec des bémols, indique-t-il.
« Ces facteurs, combinés à l’inflation provenant d’autres sources, font que celle-ci est manifestement trop élevée. »
La Banque du Canada a commencé à relever les taux d’intérêt pour la maîtriser. Au Canada, ce processus est délicat, explique Mendes, car les taux d’intérêt plus élevés influencent les taux hypothécaires. En effet, 10 % de l’économie canadienne est axée sur le logement, comparativement à 5 % aux États-Unis, et les Canadiens sont plus endettés que les Américains, en partie en raison des prix élevés dans ce secteur.
« Donc, une hausse de taux va avoir beaucoup plus d’effets sur l’économie canadienne. »
Il s’attend à ce que la Banque du Canada augmente ses taux jusqu’à 2,25 % au cours du présent cycle économique.
L’immigration pourrait soulager certaines de ces pressions
Le nombre de personnes qui attendent de pouvoir immigrer au Canada a explosé pendant la pandémie, atteignant 1,8 million de demandes en mars, selon Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Pour les trois prochaines années, le gouvernement fédéral prévoit accepter un nombre record d’immigrants, soit 430 000 en 2022 et 450 000 en 2024.
En plus des avantages positifs de la diversité, l’immigration contribuera à atténuer les conséquences de la pénurie de main-d’œuvre en ajoutant de nouveaux travailleurs sur le marché, affirme Mendes.
« Le Canada, comme de nombreuses économies développées, doit composer avec une population vieillissante. Sans immigration, de moins en moins de gens travaillent. C’est très difficile pour l’économie », assure-t-il.
De plus, les nouveaux arrivants ont besoin de logements et d’infrastructures. Cela pourrait être bénéfique pour l’industrie, même si les hausses de taux de la Banque du Canada commencent à lui mettre des bâtons dans les roues.
« C’est une raison de croire qu’il y aura encore une forte demande fondamentale pour le logement au Canada, même si les taux d’intérêt commencent à augmenter », conclut Mendes.