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Implications sociales

Atteindre de nouveaux sommets : leçons de leadership et de mentorat

12 janvier 2022

Alpinisme extrême et travail en entreprise : deux univers à première vue bien éloignés. Et pourtant! En dressant des parallèles entre ces deux environnements, l’alpiniste de renom Gabriel Filippi, premier Canadien à avoir atteint trois fois le sommet de l’Everest, illustre à quel point la réussite -d’un sommet ou d’un projet- est tributaire de la contribution de chacun des équipiers d’un groupe, de l’apprentissage de nouvelles connaissances et de la collaboration, autant au sein du groupe qu’entre les équipes. Sa conférence présentée dans le cadre du mois du mentorat invite au dépassement de soi, notamment par le mentorat, pour viser l’atteinte de nouveaux sommets.

Pouvez-vous nous résumer en quelques mots les grands apprentissages à retenir de votre conférence? Quels parallèles dressez-vous entre l’alpinisme de haute altitude que vous pratiquez et le contexte de travail en entreprise?

La métaphore de l’ascension s’applique très bien au milieu du travail. Que ce soit sur le plan personnel ou professionnel, chaque nouveau projet représente un défi dont le succès ne dépend pas que de soi. Sur l’Everest, il y a 25 équipes qui visent un même objectif. Même si la préparation et la collaboration sont plus intenses au sein de l’équipe immédiate, on doit aussi collaborer avec les autres guides et chefs d’expédition pour mener nos clients vers leur objectif ultime : le sommet. Au travail c’est la même chose. Notre succès dépend des alliances, des échanges et des contributions d’autres collègues, mais aussi d’autres équipes.

On dit souvent que la montagne, c’est l’école de la vie. On n’apprend pas seul à gérer l’altitude. Il faut se faire expliquer le processus d’acclimatation, les différentes techniques, l’équipement, etc. Quand tu guides quelqu’un, que ce soit sur une montagne ou dans une organisation, ton rôle est d’abord de donner des instructions et de donner la marche à suivre. À un certain moment, tu vas le laisser monter au même niveau que toi et surveiller s’il agit correctement. Ensuite, il va mener la cordée et prendre ses ailes. C’est un processus qu’on retrouve partout.

Que devrait-on chercher comme qualités dans un bon mentor? Est-il préférable de choisir quelqu’un qui nous ressemble et qui a des intérêts communs ou, au contraire, viser quelqu’un qui est différent de nous?

Il faut s’entourer de personnes plus compétentes que nous et aborder cette relation comme une occasion de bénéficier de nouvelles connaissances en mode accéléré.

Il faut aussi viser une chimie entre un mentor et son mentoré. Quand on amalgame deux personnes ensemble, il existe des combinaisons gagnantes, sur le plan de la personnalité et des aptitudes. Par exemple, si un employé connait bien l’informatique et veut progresser dans sa carrière, il bénéficiera d’un jumelage avec un autre « bol » de l’informatique. Ils vont déjà avoir des atomes crochus, un lien qui les unit et un vocabulaire commun, et pourrons donc se comprendre plus facilement. Par contre, il ne faut pas que leur niveau de connaissances soit identique, car ils n’auront rien à apprendre l’un de l’autre.

On n’en vient pas à faire partie de l’élite d’une discipline comme l’alpinisme sans l’influence de quelques personnes qui nous aident à progresser. Qui ont été les principaux mentors dans votre parcours? Qu’ont-ils apporté à votre développement?

À l’âge de 35 ans, je n’avais jamais fait de montagne. Celui qui m’a parti de zéro et fut mon premier mentor -je l’appelle mon gourou- fut Patrice Beaudet, un collègue de travail qui grimpait depuis une douzaine d’années. Il m’a fait profiter de ses connaissances de la montagne et m’a tout appris des volets techniques, logistiques et des particularités de chaque type de grimpe (glace, roche, haute altitude). Je ne serais jamais arrivé à ce niveau sans lui.

Gabriel Filippi et Patrice Beaudet, son premier mentor 

Ensuite Babu, un chef d’expédition népalais, et Sir Edmund Hillary, l’un des pionniers de l’ascension de l’Everest, m’ont appris à donner un sens à mon métier. Babu m’a posé la question: « Pourquoi tu grimpes des montagnes? Si c’est pour la gloire ou les médailles, tu fais fausse route et ne le fais pas pour de bonnes raisons. » Sir Edmund Hillary m’a permis de trouver la réponse. Quand je l’ai visité en Nouvelle-Zélande, il a dit que l’Everest n’était pas la fin de quelque chose, mais le début d’une nouvelle aventure. Il se sentait redevable aux Népalais, ce qui l’a poussé à mettre sur pied une fondation pour venir en aide au peuple qui l’avait tant appuyé dans l’atteinte de ses objectifs.

Depuis ce temps, le terme « aider » caractérise beaucoup mon rapport à mon travail. Et ce côté humain est devenu plus important pour moi que le volet sportif, qui, même s’il apporte une satisfaction, demeure bien personnel. J’aide des entrepreneurs avec mes conférences. Je mène des expéditions sur l’Everest pour aider mes clients à réaliser leur rêve, et j’ai aussi aidé le peuple népalais et de nombreux sherpas avec différents projets de levées de fonds (construction d’écoles, financement des études pour des orphelins).

Je tente aussi de transmettre cette approche aux expéditions que j’accompagne. Par exemple, j’ai guidé un groupe de trekkeurs vers le mont Kala Pattar, un sommet de 5 600 mètres duquel on peut apercevoir le sommet de l’Everest. À l’aller, le groupe parlait beaucoup de ses exploits sportifs, de voir l’Everest, etc. Mais je leur avais réservé deux surprises : une visite d’un orphelinat dans la capitale Katmandou, et de remplir leur deuxième sac avec des vêtements et jouets pour les familles et enfants des porteurs népalais. À la fin du voyage, tous les participants mentionnaient ces deux activités comme les plus beaux moments de leur expérience; pas les exploits sportifs. C’est ce côté humain que j’essaie de privilégier maintenant et qui donne un sens à mon métier.

L’instinct de survie, le nom de votre livre, est un moteur puissant qui peut propulser l’homme au-delà de ses propres limites. Comment fait-on pour dépasser ses limites quand on n’est pas dans un environnement aussi exigeant que la montagne?

C’est important de savoir pourquoi on se lève le matin pour aller travailler dans une entreprise. J’ai donné une conférence chez North Face (ndlr : son commanditaire de vêtements) et j’ai dit aux employés : si vous vous demandez pourquoi vous travaillez chaque jour, je vais vous le dire :  c’est parce que vous me sauvez la vie avec vos vêtements, vous bâtissez l’équipement qui me protège dans chacune de mes missions. C’est grâce à vous que je me sens en sécurité.

Que ce soit chez Desjardins ou dans une autre entreprise, les visages de chaque employé forment l’image complète d’un énorme casse-tête dans lequel chacun a un rôle à jouer pour la réussite de la mission collective, comme dans une cordée d’alpinisme. Si ces employés n’étaient pas là, il manquerait un maillon à cette synergie. C’est important à se rappeler comme employé.

Après un grand exploit, que ce soit un Superbowl, une médaille olympique ou un sommet, les sportifs peuvent traverser une période de passage à vide. Pour conserver la motivation, je crois qu’un employé qui termine un projet avec succès doit toujours tenter de reproduire cet état d’esprit vers son prochain défi. Ce qui est important, c’est d’avoir déjà anticipé la prochaine étape : un autre projet en construction ou l’acquisition de nouvelles connaissances, par exemple. Si on se sent morose ou moins motivé, il faut aussi se rappeler ce qui faisait briller la flamme initiale, ce qui nous a motivé initialement pour notre profession. Souvent, revenir à la base permet d’envisager le prochain sommet.  

Qu’est-ce que la pandémie récente nous a appris sur notre capacité d’adaptation et notre manière de réagir face à l’adversité?

Sur l’Everest, lors de la journée où on atteint le sommet, on doit impérativement respecter un certain rythme. Au-delà des 8 000 mètres, c’est un pas, cinq respirations. Même si je vois le sommet devant moi et j’ai le goût de courir pour l’atteindre, c’est impossible. 

La pandémie montre aux gens la patience, la résilience face à une situation qui est plus forte que nous tous. On voudrait aller plus vite que ce qui est possible, comme on voudrait toujours terminer un projet au travail plus rapidement. Mais il faut accepter le rythme imposé. Tout est dans la manière de réagir face à la situation.


Questions en rafale

Son héros? Guy Lafleur, de mon enfance aux campagnes de financement pour le Canadien de Montréal où j’ai eu la chance de le rencontrer, ce fut toujours mon héros, bien plus que tous les superhéros à la Spider-Man.

Gabriel Filippi et Guy Lafleur, son héros d’enfance

Une personnalité qui l’inspire?  Sir Edmund Hillary, alpiniste et philanthrope néo-zélandais, premier homme à atteindre en 1953 le sommet de l’Everest en compagnie du sherpa Tenzing Norgay. Je l’ai rencontré quand il avait 80 ans. Étonnamment, nous n’avons pas parlé de montagne, mais des sherpas, de sa fondation, et ce fut une rencontre marquante pour moi.

Dans l’actualité plus récente, je trouve qu’un homme comme Barack Obama a permis, par son ton et son attitude, au monde de changer pour le mieux.

Ton prochain défi – prochaine ascension?  Accompagner un groupe au Népal en mars, si les conditions sanitaires le permettent. Sur le plan des projets personnels, j’ai une longue liste de projets potentiels. Mais on en parlera après les avoir réalisés; on ne veut pas se faire voler les idées!