Vous avez été nombreux à assister à la conférence web de Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège, qui a présenté les plus récentes prévisions économiques et financières. Plusieurs internautes en ont profité pour lui poser des questions, qui n’ont pas toutes pu être répondues lors de la conférence.
Voici les réponses à 10 questions qui ont été le plus souvent posées à Jimmy Jean lors de cette présentation et le lien pour la réécoute de la web conférence.
1. Comment voyez-vous le dollar canadien évoluer au cours des prochains mois?
Le dollar canadien pourrait se déprécier vers les 0,72 $ US au cours des prochains mois en raison de la détérioration prévue de la conjoncture économique. Lorsque l’économie se porte moins bien et que les marchés financiers sont plus volatils, les investisseurs privilégient souvent les actifs jugés « sûrs », ce qui avantage généralement le dollar américain. De plus, lorsque l’économie se porte moins bien, les prix de plusieurs matières premières tendent à diminuer, ce qui désavantage aussi le dollar canadien. Enfin, la Banque du Canada signale déjà qu’elle devrait maintenir ses taux d’intérêt stables pour les prochains mois. Dans ce contexte, le dollar canadien pourrait être pénalisé par des écarts de taux d’intérêt moins favorables avec les États-Unis si la Réserve fédérale continue, au contraire, d’augmenter ses taux d’intérêt. Une appréciation plus durable du dollar canadien est anticipée à partir de la fin de l’année 2023.
2. Est-ce que la Banque du Canada va suivre la hausse des taux d'intérêt de la Fed (s'il y a lieu) pour éviter la chute du dollar canadien?
La devise est normalement un aspect secondaire pour la Banque du Canada. Il faut aussi rappeler que les taux (spécifiquement les écarts des taux américains et canadiens) sont une variable parmi plusieurs qui influence la devise. Le cours des matières premières et l’aversion au risque en sont d’autres, et elles peuvent parfois être beaucoup plus influentes. La Banque du Canada n’a toutefois aucun levier sur ces autres paramètres, rendant le contrôle de la devise difficile. Si la Banque du Canada suivait la Fed avec des hausses supplémentaires, ce serait vraisemblablement parce qu’il y aurait une persistance inflationniste au Canada qui le justifierait.
3. Qu’est-ce qui pourrait forcer la Banque du Canada à poursuivre ses hausses de taux?
La Banque du Canada (BdC) a décidé d’observer une pause, mais pour poursuivre celle-ci, elle doit observer des signaux désinflationnistes encourageants. En plus des pressions qui s’estompent graduellement dans les biens importés et le carburant, elle voudra probablement constater un certain répit dans la pénurie de main-d'œuvre et une modération de la croissance des salaires. Un marché du travail encore en surchauffe, de nouveaux chocs d’offre à l’international ou une nouvelle flambée des prix des carburants et des aliments sont autant de facteurs qui pourraient faire craindre un désencrage permanent des anticipations d’inflation. Dans ces conditions, la BdC serait alors probablement encline à réagir en resserrant davantage. Les investisseurs n’étant pas positionnés pour ce genre de dénouement, il faut s’attendre à énormément de volatilité sur les marchés financiers si un tel scénario se matérialise.
4. Le Québec est-il en récession avec un recul du PIB pour le 3e trimestre de 2022?
Les données du quatrième trimestre offriront une partie de la réponse. Un deuxième recul d’affilée concrétiserait effectivement une récession au sens technique. Il reste qu’une récession technique n’est pas nécessairement synonyme de récession si le marché de l’emploi ne s’affaiblit pas. Des récessions techniques ont été observées dans certains pays durant la dernière décennie (ex. : Japon, Allemagne), mais avec l’absence d’une poussée du chômage, elles ont davantage constitué des périodes de piétinement économique que des récessions très sérieuses. Le taux de chômage et l’évolution des revenus des ménages seront des variables clés à surveiller pour savoir si une véritable récession a lieu au Québec. En 2022, ces variables ont tenu bon, mais on s’attend à voir une certaine détérioration en 2023.
5. À quoi peut-on s'attendre des marchés obligataires américains et canadiens pour 2023?
Les banques centrales auront beau prévenir les marchés de ne pas anticiper des baisses de taux très rapidement, il reste qu’une désinflation et une récession sont compatibles avec un assouplissement de la politique monétaire. À ce titre, les taux obligataires évolueront vers le bas plus ces signaux se feront visibles. Le rendement des obligations publiques devrait donc s’avérer meilleur que l’an dernier, advenant une matérialisation de ce scénario. La lenteur prévue des baisses éventuelles de taux laisse toutefois entrevoir des rendements relativement modestes. La volatilité pourrait aussi être importante, notamment avec l’effet de la réduction des bilans des banques centrales.
6. Doit-on s’inquiéter des niveaux très élevés du niveau d’endettement des gouvernements au niveau mondial?
L’endettement public a augmenté dans la plupart des pays en réponse à la pandémie. La forte hausse du PIB nominal en 2021 et en 2022 a néanmoins permis de constater une certaine amélioration. La tendance s’inversera toutefois dans un contexte de récession, qui mettra des pressions à la hausse sur les dépenses du filet social (ex. : assurance-emploi) et à la baisse sur les revenus. Le Canada dispose toujours d’une bonne cote de crédit et d’un endettement relativement faible. Ses perspectives de croissance économique à long terme sont également bonnes par rapport à d’autres pays avancés, notamment grâce à la vigueur de sa croissance démographique. Certaines économies aux finances publiques précaires seront en posture particulièrement fragile dans un monde où les rendements pour les actifs sans risque seront plus élevés. Cela pourrait se traduire par une augmentation importante des coûts du service de la dette pour les pays vivant des difficultés économiques et qui ont un mauvais point de départ sur le plan budgétaire.
7. Si l’inflation persiste en 2023 et ne descend pas au niveau espéré, la Banque du Canada pourrait-elle hausser les taux directeurs?
Ce n’est pas un scénario à écarter puisque la Banque du Canada a comme mandat de faire le nécessaire pour ramener l’inflation à sa cible de 2 %. Cela dit, la Banque du Canada ne s’attend pas à ce que l’inflation retourne à la cible avant la fin de 2024. Elle a donc une certaine patience, mais cette patience n’est pas sans limites. Par exemple, si de nouveaux chocs devaient significativement augmenter l’horizon du retour à la cible de 2 %, il y a fort à parier qu’elle jugerait nécessaire de resserrer davantage. Voir la réponse à la deuxième question pour plus de détails.
8. Quels sont les effets de la rareté de la main-d’œuvre sur le marché (les salaires, l’inflation)?
La rareté de la main-d’œuvre engendre un déséquilibre entre la demande et l’offre de travailleurs qui entraîne des pressions à la hausse sur les salaires. Cela amène une augmentation des coûts pour les entreprises, ce qui alimente la hausse de l’inflation. À plus long terme, la rareté de la main-d’œuvre force aussi les entreprises à s’adapter et à chercher des moyens d’accroître la productivité au sein de leur organisation, notamment par des investissements et une modernisation de leurs infrastructures. S’ils se concrétisent, ces gains de productivité pourraient éventuellement atténuer les pressions à la hausse sur l’inflation. À plus court terme, la récession prévue en 2023 devrait quelque peu réduire la demande de travailleurs, ce qui devrait se traduire par une réduction du nombre de postes vacants et ainsi tendre vers un meilleur équilibre au sein du marché du travail.
9. Est-ce que tous les secteurs d’activité seront touchés par les difficultés économiques? Quels seront les principaux perdants? Pourrait-il y avoir des gagnants?
Les secteurs les plus vulnérables sont ceux les plus sensibles aux hausses de taux d’intérêt. Le marché de l’habitation est évidemment en tête de liste. Plusieurs dépenses de biens durables sont aussi affectées comme les meubles, les électroménagers et les automobiles. Dans la situation actuelle, les secteurs qui peinent à se remettre de la pandémie (hébergement, restauration, divertissement) ou encore ceux aux prises avec des enjeux d’endettement (hébergement, restauration et construction) ou de pénurie de main-d’œuvre (ex. : transport et entreposage, fabrication) risquent d’être les plus fragilisés. En revanche, la santé, l’éducation et les secteurs primaires devraient se montrer plus résilients.
10. Dans un monde idéal, les gouvernements seraient capables de mitiger le ralentissement économique sans jeter de l’huile sur le feu inflationniste. Est-ce que c’est quelque chose de possible?
À court terme, ce sera pratiquement impossible. Le ralentissement économique découle de l’effet restrictif des hausses de taux d’intérêt décrétées par la Banque du Canada et les autres banques centrales pour contrer la forte inflation. L’objectif des banques centrales est de réduire les pressions haussières sur les prix en ayant un meilleur équilibre entre l’offre et la demande. Pour y parvenir, une réduction de la demande et un ralentissement économique sont donc inévitables. Cela dit, les gouvernements pourraient quand même mettre de l’avant des mesures très ciblées pour amoindrir les conséquences du ralentissement économique sur les ménages les plus vulnérables. Si une récession relativement sévère devait se matérialiser, l’inflation se ferait probablement moins menaçante. Le moment serait alors opportun pour effectuer des investissements structurants et entreprendre des réformes visant à relancer l’économie ainsi qu’en améliorer la productivité et la résilience à long terme.