- Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège
Lorenzo Tessier-Moreau, économiste principal • Hendrix Vachon, économiste principal
L’inflation à 2,0 % permettra des baisses de taux directeurs accélérées au Canada
Faits saillants
- La réserve fédérale (Fed) commence son cycle baissier avec un ajustement de 50 points de base.
- La Banque du Canada pourra accélérer le pas pour atteindre le taux neutre.
- La tendance baissière du dollar américain pourrait bien persister.
- L’optimisme est, pour l’instant, de retour sur les marchés financiers.
Conjoncture économique et taux d'intérêt
L’économie américaine perd de son lustre alors que la croissance reprend de la vigueur ailleurs
Bien que la croissance économique soit demeurée forte en première moitié d’année aux États‑Unis, les données récentes signalent un ralentissement de la croissance économique. À l’inverse, les derniers résultats indiquent une amélioration des perspectives ailleurs dans le monde, notamment en Europe et au Japon. Le ralentissement du marché de l’emploi paraît d'ailleurs plus marqué en Amérique du Nord, alors que les principales économies mondiales n’ont vu que leur taux de chômage augmenter plus lentement (graphique 1). Il y a un bémol du côté de l’Allemagne, où le secteur manufacturier peine encore à se relever, et en Chine, où les difficultés économiques perdurent. L’inflation reste aussi plus persistante à l’international, notamment en zone euro, ce qui pourrait justifier plus de prudence de la part de la Banque centrale européenne.
La réserve fédérale (Fed) commence son cycle baissier avec un ajustement de 50 points de base
Les investisseurs et les prévisionnistes étaient divisés quant à l’ajustement à prévoir à la rencontre du 18 septembre dernier, mais la Fed a finalement opté pour une baisse de plus grande taille. Il ne faut cependant pas voir ce choix comme un geste de panique, mais plutôt comme une reconnaissance que l’assouplissement de la politique monétaire américaine avait peut‑être pris un peu de retard. La Fed n’entend pas non plus maintenir un tel rythme pour la suite. Les attentes des dirigeants concernant le niveau du taux des fonds fédéraux à la fin de cette année sont cohérentes avec deux autres diminutions de 25 points de base. L’inflation ayant atteint 2,5 % aux États-Unis en août, elle semble maintenant moins une préoccupation pour la réserve fédérale que l’est le marché de l’emploi.
L’inflation est de retour à sa cible au Canada
Après un dérapage qui a duré plus de trois ans, l’inflation canadienne était finalement de retour à sa cible de 2,0 % en août. Cette stabilisation de l’inflation s’est faite sans conséquences trop graves pour la croissance économique alors que le PIB réel a continué de croître à un rythme annualisé de 2,1 % au deuxième trimestre. En revanche, il semble que ce soient les ménages canadiens qui aient dû en faire les frais. D’une part, le marché de l’emploi s’est modéré très rapidement sous l’effet d’une forte croissance de la population, ce qui a ramené le taux de chômage à 6,6 % en août. Les taux d’intérêt élevés ont aussi amené le ratio du service de la dette des ménages à des sommets (graphique 2), et celui‑ci pourrait continuer d’augmenter pour de nombreux canadiens au cours des prochains mois alors que les emprunteurs renouvelleront des prêts contractés à des taux très bas durant la pandémie.
La Banque du Canada (BdC) a le feu vert pour accélérer le pas vers le taux neutre
Avec l’inflation de retour à sa cible, et un marché de l’emploi qui paraît maintenant mieux équilibré, il devient de plus en plus difficile de justifier le maintien d’une politique monétaire restrictive au Canada. Bien que la BdC ait déjà diminué son taux directeur par trois fois, à 4,25 %, celui-ci demeure bien au‑dessus du niveau considéré comme neutre. Nous croyons donc que la Banque pourrait emboîter le pas de la Réserve fédérale et procéder à une baisse de 50 points de base en octobre afin d’accélérer vers la fourchette du taux neutre, lequel est estimé entre 2,25 % et 3,25 %. À l’approche de ce niveau, la BdC pourrait cependant se montrer plus prudente et continuer avec des ajustements de plus petite taille jusqu’à la borne inférieure de la fourchette.
La baisse des taux de détail est déjà bien entamée
Ceux qui s’attendent à ce que le gros des baisses de taux de détail soit encore à venir pourraient être déçus. Par rapport à leur récent sommet, nous estimons que les taux octroyés sur les prêts hypothécaires de terme 5 ans ont déjà diminué de plus de 170 points de base. Ceux‑ci pourraient même recommencer à augmenter légèrement en 2025 alors que les perspectives pour l’économie canadienne s’amélioreront graduellement. Les taux variables diminuent en proportion du taux directeur, mais leur niveau initial beaucoup plus élevé implique que même lorsque celui‑ci aura atteint son creux prévu à 2,25 %, les taux offerts au détail pourraient être au maximum 50 points de base plus faibles que les taux actuellement offerts pour un taux fixe de 5 ans (graphique 3). La raison en est simple : les baisses du taux directeur de la Banque du Canada sont largement anticipées et cela se reflète déjà sur les taux hypothécaires fixes.
Taux de change
La tendance baissière du dollar américain pourrait bien persister
Pas de divergence des politiques monétaires à l’avantage du billet vert
Il n’y a encore pas très longtemps, la bonne performance de l’économie américaine et l’inflation qui semblait vouloir persister laissaient présager que la Réserve fédérale allait diverger de la plupart des autres banques centrales, avec moins de baisses de taux d’intérêt. Décidément, la situation est en train de changer et le dollar américain s’en trouve pénalisé (graphique 4).
Moins de craintes sur l’économie pénalisent aussi le dollar américain
La devise américaine n’a pas la réputation de faire des gains importants lorsque l’économie va bien. C’est plutôt une devise reconnue pour son rôle de valeur refuge, qui s’apprécie lorsque les craintes augmentent. Avec les baisses de taux aux États‑Unis, la Réserve fédérale (Fed) vise justement à réduire le risque de récession, ce qui a de quoi rassurer les investisseurs.
Optimisme modéré pour le dollar canadien
Que les États‑Unis évitent la récession est une bonne nouvelle pour le Canada et pour le dollar canadien. Néanmoins, l’économie canadienne fera face à des vents contraires, avec une croissance plus faible de la population et des renouvellements hypothécaires encore difficiles malgré les baisses des taux directeurs. C’est donc un optimisme modéré que nous avons pour l’économie canadienne et cela limitera le potentiel d’appréciation du dollar canadien.
Une remontée de certains prix des matières premières pourrait aussi aider le huard, de même qu’une réduction des écarts de taux d’intérêt avec les États‑Unis. Actuellement à 1,36 $ CA/$ US, nous prévoyons que le taux de change pourrait converger vers 1,33 $ CA/$ US l’an prochain (graphique 5).
Avantage aux devises européennes et au yen
À court terme, le contexte pourrait demeurer plus favorable aux devises européennes et au yen. L’inflation plus persistante en Europe fait que les banques centrales de la région ne peuvent pas suivre le même rythme de réduction des taux directeurs qu’aux États‑Unis et au Canada. La donne devrait néanmoins changer en 2025.
Le contraste est encore plus grand au Japon, où la banque centrale est plutôt en mode « relèvement des taux » après les avoirs maintenus inchangés en 2022 et en 2023. Cela devrait continuer de soutenir le yen.
Rendement des classes d'actifs
L’optimisme est, pour l’instant, de retour sur les marchés financiers
Les marchés boursiers semblent en quête de direction
Le mois de septembre apporte bien souvent un vent glacial sur les marchés boursiers et le début du mois de septembre 2024 n’a pas fait exception. Mais à l’instar du redoux observé cette année dans l’est du Canada, l’atmosphère s’est réchauffée sur les marchés mondiaux dans les jours suivants (graphique 6). La réaction initiale suivant la rencontre de la Réserve fédérale (Fed) a été négative, mais elle a été suivie d'un important rebond le lendemain, ce qui témoigne d’une certaine ambivalence des investisseurs face à la situation actuelle. D’une part, la thèse de l’atterrissage en douceur de l’économie américaine semble bien vivante pour les investisseurs, ce qui explique l’optimisme ambiant. Cependant, elle est indispensable pour justifier les niveaux de valorisation actuels des titres de l’indice S&P 500. Les gains attribuables aux anticipations de baisses de taux pourraient pour leur part avoir atteint leur limite.
Les valorisations élevées du S&P 500 ne touchent pas uniquement le secteur technologique
Cela fait déjà plusieurs mois que les niveaux de valorisation des entreprises du S&P 500 nous préoccupent. Pour de nombreuses compagnies, ces ratios sont justifiés par des perspectives de croissance exponentielle dues aux gains liés aux développements et à l’intégration des technologies de l’intelligence artificielle. Pourtant, au‑delà des secteurs liés à la haute technologie, on observe maintenant que 9 des 11 secteurs industriels du S&P 500 affichent des ratios cours‑bénéfices moyens élevés par rapport à leurs valeurs historiques (graphique 7). Certes, les gains liés aux technologies de l’intelligence artificielle pourraient toucher plusieurs secteurs, mais tant que ceux‑ci ne se matérialiseront pas par des effets observables sur les bénéfices des entreprises, il est bon de demeurer prudent par rapport aux niveaux de valorisations actuels de l’indice.
La Bourse canadienne est mieux positionnée pour profiter des baisses plus rapides du taux directeur
Le S&P/TSX a bien performé récemment, amenant les gains pour l’année 2024 non loin de 13,0 %. Bien que le contexte économique canadien soit plus difficile, cette faiblesse était déjà reflétée dans les niveaux de valorisation plus faibles des entreprises canadiennes. Le retour de l’inflation à sa cible et les baisses rapides de taux directeur que celui‑ci permet sont de très bonnes nouvelles pour les titres canadiens. En plus d’apporter un soutien à l’économie canadienne, les taux plus faibles rendent plus attrayants les dividendes relativement élevés offerts par les entreprises du S&P/TSX. L’entrée en fonction de l’oléoduc TMX a aussi permis au secteur énergétique canadien de limiter les pertes liées au recul des cours du baril de pétrole (graphique 8).
Des baisses de taux plus graduelles en Europe, mais les perspectives demeurent bonnes
Contrairement à la situation en Amérique du Nord, la Banque centrale européenne dispose d’une marge de manœuvre plus limitée pour réduire les taux d’intérêt. Cela dit, l’économie semble tout de même vouloir se relever en zone euro, après plusieurs trimestres difficiles en 2022 et en 2023. Il en va de même pour les bénéfices attendus des entreprises européennes, qui ont repris une tendance haussière récemment. La politique monétaire est aussi déjà moins restrictive, ce qui permet de demeurer relativement optimiste pour l’Europe en 2025. Les marchés asiatiques restent plus à risque, notamment au Japon, où la Banque centrale devrait poursuivre son resserrement monétaire. Par contre, les perspectives demeurent positives pour l’économie et pour les bénéfices des entreprises.
La corrélation entre les marchés boursiers et obligataires est de retour en territoire négatif
Les taux obligataires de long terme ont diminué au début septembre, reflétant les craintes plus importantes de récession. À l’inverse, les taux ont augmenté à la suite de l’annonce d’une baisse de 50 points de base par la Fed, ce qui a rassuré les investisseurs quant aux perspectives économiques. Les marchés boursiers semblent donc moins sensibles aux niveaux des taux, et beaucoup plus influencés par les perspectives économiques, ce qui a ramené une corrélation négative entre les rendements des marchés boursiers et obligataires (graphique 9). Avec un sentier de baisses de taux d’intérêt bien assimilé dans les anticipations des investisseurs, l’attention pourrait rester plus centrée sur les perspectives économiques dans les prochains mois, ce qui pourrait maintenir une corrélation négative entre ces classes d’actifs.
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