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Prévisions des taux de détail

Les taux directeurs sont plus stables, mais pas les taux de long terme

26 octobre 2023
Lorenzo Tessier-Moreau, économiste principal, et Hendrix Vachon, économiste principal

Faits Saillants

  • Les bonnes nouvelles se succèdent pour l’économie américaine.
  • L’économie canadienne à l’orée d’une période de stagnation.
  • Le dollar américain demeure moins fort que l’an passé.
  • Les hausses de taux obligataires créent des remous sur les marchés boursiers.

Conjoncture économique et taux d'intérêt

Les bonnes nouvelles se succèdent pour l’économie américaine

Les données économiques publiées au cours des dernières semaines confirment que l’économie américaine est encore loin d’un ralentissement significatif. Au contraire, le PIB réel américain a affiché un gain de 4,9 % à rythme annualisé au troisième trimestre de 2023. L’emploi a aussi repris une nette tendance haussière après quelques mois de faiblesse, avec un gain de 336 000 postes en septembre (graphique 1). Cependant, cette vigueur n’est pas observée partout dans le monde. Les pays de la zone euro montrent davantage de signes de ralentissement alors que la Chine demeure pénalisée par une faible demande intérieure et un marché de l'habitation en difficulté.

Les dirigeants de la Réserve fédérale (Fed) se montrent patients

Bien que la Fed ait signalé qu’une dernière hausse de taux directeur pourrait avoir lieu avant la fin de l’année, le président, Jerome Powell, semblait plus enclin à la patience lors de sa plus récente allocution. L’inflation américaine demeure trop élevée aux yeux de la Banque centrale, ce qui justifie de maintenir une posture restrictive. Par contre, la forte hausse des taux obligataires de long terme qui a eu lieu au cours des dernières semaines exerce un effet restrictif supplémentaire sur l’économie américaine, ce qui pourrait justifier le statu quo du taux des fonds fédéraux.


L’économie canadienne à l’orée d’un repli

Il semble de plus en plus clair que quelque chose ne tourne pas rond avec l’économie canadienne. Les ménages plus endettés subissent maintenant depuis plusieurs mois la forte pression des taux d’intérêt et réduisent leurs dépenses de consommation. Le rebond du marché de l’habitation du début de l’année s’est essoufflé brusquement avec les plus récentes hausses de taux directeurs (graphique 2). Le marché de l’emploi demeure pour sa part en croissance, mais celle-ci suit à peine la forte augmentation de la population active. Enfin, la récente hausse des taux obligataires pourrait assener un nouveau coup à une économie déjà fragilisée. Il semble probable que l’année 2024 soit marquée par une récession au Canada.

La Banque du Canada (BdC) maintient la pause de son taux directeur en octobre

La BdC a maintenu son taux directeur à 5,0 % à la rencontre d’octobre, tout en laissant la porte ouverte à d’autres hausses de taux au besoin. Les dirigeants indiquent qu’ils restent préoccupés « par la lenteur des progrès vers la stabilité des prix et par l’accroissement des risques inflationnistes ». La Banque reconnaît cependant que « divers indicateurs donnent à penser que l’offre et la demande s’approchent maintenant du point d’équilibre ». Le ralentissement attendu devrait renforcer cette idée au cours des prochains mois, ce qui devrait assurer le statu quo du taux directeur jusqu’à ce que les premières baisses surviennent en 2024.


Les taux de détail sont influencés par les marchés obligataires

Même si le taux de la Banque du Canada est maintenant au beau fixe depuis le mois de juillet, les taux d’intérêt de détail ont poursuivi leur hausse (graphique 3). Le taux sur les obligations du gouvernement fédéral 5 ans a gagné près de 50 points de base depuis la plus récente hausse du taux directeur, ce qui s’est reflété dans les taux hypothécaires et l’épargne. La détérioration des perspectives économiques au Canada engendre aussi des coûts de financement qui restent élevés pour les institutions financières, ce qui se traduit par une volonté de favoriser les dépôts plutôt que les prêts. 



Devises

Le dollar américain demeure moins fort que l’an passé

À pareille date l’an passé, le dollar américain s’était considérablement apprécié alors qu’il jouait pleinement son rôle de valeur refuge dans un contexte de marchés boursiers en baisse et d’inquiétude élevée quant à l’économie. Aujourd’hui, le billet vert profite surtout des taux d’intérêt en nette progression aux États-Unis et des écarts qui s’élargissent avec les taux de plusieurs pays. Le fait que les États-Unis semblent être dans une meilleure posture économique que d’autres pays aide aussi le billet vert. Cela dit, le dollar américain n’est pas aussi fort que l’an passé, du moins pas contre toutes les devises (graphique 4). Une des grandes différences aujourd’hui est que le risque de crise énergétique sur le continent européen a diminué. Les devises européennes sont actuellement au-dessus des creux atteints à l’automne 2022.


Le dollar canadien se situe à un niveau similaire à celui d’il y a un an. Les prix élevés du pétrole ne suffisent pas à compenser d’autres facteurs défavorables au huard, comme la détérioration de la situation économique au Canada et l’élargissement des écarts de taux d’intérêt avec les États-Unis. Le taux de change canadien semble moins suivre l’écart entre les taux d’intérêt de deux ans et suit de plus près celui entre les taux d’intérêt de 10 ans (graphique 5).


Prévisions

Les perspectives demeurent plutôt pessimistes pour le taux de change canadien au cours des prochains mois. Nous ne prévoyons pas de changement notable aux écarts de taux d’intérêt qui pourrait donner un nouvel élan au huard. Il est également prévu que les prix du pétrole se modèrent avec le ralentissement économique mondial. Le taux de change pourrait avoisiner 1,39 $ CAN/$ US (0,72 $ US) l’hiver prochain.

Plusieurs devises européennes et le yen pourraient faire un peu mieux au cours des prochains mois alors qu’ils sont moins sensibles aux mouvements des prix du pétrole et qu’ils pourraient davantage tirer profit d’une baisse des taux obligataires américains.


Rendement des classes d'actifs

Les hausses de taux obligataires créent des remous sur les marchés boursiers 

Les investisseurs escomptent des taux plus élevés, plus longtemps

Comme nous l’avions évoqué dans la précédente édition de notre prévision des taux de détail, un scénario où la croissance économique demeurerait soutenue pourrait entraîner des conséquences importantes sur la courbe de taux obligataires et les marchés boursiers. Un tel scénario semble avoir pris une importance grandissante au cours des dernières semaines alors que les taux obligataires de long terme ont poursuivi leur fort mouvement haussier. Le taux sur les obligations du gouvernement fédéral américain de 10 ans a dépassé la barre de 5,0 % à la mi-octobre et est demeuré très volatil par la suite. Les marchés boursiers américains et mondiaux ont continué de subir les contrecoups de ces hausses de taux, malgré une amélioration des perspectives économiques aux États-Unis.

Des taux plus hauts, mais pas nécessairement plus d’inflation

Ce qui caractérise les mouvements récents des marchés obligataires est que l’augmentation des taux ne reflète pas nécessairement une hausse des anticipations d’inflation, ni même un risque de voir les banques centrales augmenter davantage leurs taux directeurs. Une hausse des taux de long terme qui s’accompagne aussi d’une augmentation des taux indexés à l’inflation, mais pas des taux de court terme, semble signaler que les investisseurs prévoient que l’économie pourrait montrer une plus grande résilience face à des taux élevés (graphique 6). Cette pentification de la courbe de taux obligataires et l’apparition d’une prime du terme pourraient aussi être la conséquence d’une moins grande abondance de liquidités dans le système financier après plusieurs mois de resserrement monétaire exercé par la plupart des banques centrales du monde.


La vigueur de l’économie américaine n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour les Bourses

Les données économiques favorables ont permis aux investisseurs d’être plus optimistes par rapport aux bénéfices attendus des entreprises (graphique 7). Cela a permis de justifier partiellement le rebond de l’indice S&P 500 observé au cours de l’été. Le rebond des prix du pétrole observé à la fin de l’été a aussi permis une amélioration des bénéfices attendus pour l’indice canadien S&P/TSX. Par contre, l’effet des taux obligataires plus élevés pourrait être négatif pour les valorisations boursières. D’une part, le financement des projets d’expansion est nettement plus dispendieux pour les entreprises en croissance, ce qui rend les exigences de profits encore plus grandes. D’autre part, les marchés obligataires offrent maintenant des meilleurs rendements, et deviennent une option beaucoup plus attrayante pour les investisseurs. 


La Bourse canadienne subit les taux plus élevés sans l’amélioration des perspectives économiques   

Le début de l’automne a été particulièrement difficile pour l’indice S&P/TSX, ce dernier ayant reculé de plus 6,0% par rapport à son sommet de septembre (graphique 8). Les nouvelles économiques sont beaucoup moins bonnes au Canada, ce qui n’a pas empêché les taux obligataires de long terme de suivre les mouvements haussiers des taux américains. Les entreprises du S&P/TSX ont cependant l’avantage d’avoir un niveau de valorisation en moyenne beaucoup plus faible que celui du S&P 500. Le ratio cours-bénéfice moyen est inférieur à 13 au Canada alors qu’il oscille à près de 18 pour le S&P 500.


Le ralentissement de l'économie mondiale signale la fin des hausses de taux

Comme pour les Bourses canadiennes et américaines, des temps plus difficiles s’annoncent sur les marchés européens et asiatiques. Plusieurs pays pourraient tomber en récession en première moitié de 2024, et peut-être même avant. On sent bien que la fin du resserrement monétaire approche à l’échelle mondiale. La Banque centrale européenne a entamé une pause en octobre. L’inflation reste plus élevée au Royaume-Uni et une autre hausse de taux d’intérêt paraît encore probable. La Banque du Japon reste un mystère, alors qu’elle aurait déjà pu justifier un certain resserrement monétaire. Elle optera probablement pour une ou deux hausses de 10 points de base prochainement, soit juste assez pour ramener son principal taux directeur légèrement au-dessus de 0 %. Jumelé à une réduction du contrôle de la courbe obligataire, cela pourrait permettre au yen de s’apprécier et de contribuer aux efforts de réduction de l’inflation. Un yen plus fort pourrait néanmoins nuire à la Bourse japonaise.

Le potentiel de rendement s’améliore sur les marchés obligataires

Les détenteurs de portefeuilles obligataires et boursiers voudront probablement oublier les mois de septembre et d’octobre 2023. Cela dit, la hausse des taux obligataires est une bonne nouvelle pour les rendements futurs (graphique 9). Au fur et à mesure que les taux augmentent, la probabilité de nouvelles poussées haussières s’amenuise et les rendements potentiels augmentent. Les taux obligataires élevés représentent cependant un risque supplémentaire pour les marchés boursiers.