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Lorenzo Tessier-Moreau
Économiste principal
De nouvelles craintes de récession créent une onde de choc sur les marchés mondiaux
Faits saillants
- La volatilité a explosé au cours des derniers jours sur les marchés financiers, après la déception des données sur l’emploi aux États-Unis.
- La corrélation entre les marchés boursiers et obligataires est redevenue fortement négative au cours des derniers jours.
- Les titres du S&P 500 sont particulièrement à risque après avoir atteint des niveaux de valorisation historiques.
- La Bourse japonaise est particulièrement touchée par les mouvements du yen.
- La récente volatilité complique grandement la tâche des banquiers centraux.
Commentaires
Les marchés boursiers mondiaux ont fortement chuté vendredi dernier à la suite de la publication de données décevantes sur l’emploi aux États-Unis et le mouvement s’est poursuivi lundi. La chute des marchés s’est accompagnée d’une forte baisse des taux obligataires américains et mondiaux ainsi que d’une importante révision des anticipations de baisses de taux directeurs. Ce mouvement a créé une onde de choc sur les marchés japonais lundi, lesquels sont déjà fortement pénalisés par l’importante appréciation du yen. L’indice japonais Nikkei 225 a perdu près de 12,5 % lundi, amenant la baisse cumulative depuis le dernier sommet à plus de 25 %, avant de rebondir de plus de 10,0 % mardi. La baisse cumulative pour l’indice américain s’approchait plutôt de 8,0 % (voir tableau). La volatilité calculée par l’indice VIX a bondi lundi, atteignant brièvement son plus haut niveau depuis la crise du début de la pandémie de COVID-19. Au moment d’écrire ces lignes mardi matin, les indices boursiers américains étaient en voie de reprendre une partie des pertes affichées la veille alors que les marchés européens étaient au point mort.
Les mouvements brutaux des marchés paraissent en partie liés à un retour en force des craintes d’une récession aux États-Unis qui pourrait engendrer d’importantes conséquences sur l’économie mondiale. Alors que les taux américains diminuaient et que le yen poursuivait sa progression, les flux de capitaux découlant d’un désinvestissement de la stratégie visant à emprunter à des taux bas au Japon afin d’investir pour obtenir des rendements plus élevés dans d’autres devises, la carry trade, a causé un saut de la volatilité. Le taux de chômage américain publié vendredi a augmenté à 4,3 %, dépassant le niveau indiqué par la proverbiale règle de « Sahm » (graphique 1). Cette règle, attribuable à l’économiste américaine Claudia Sahm, indique que lorsque la moyenne du taux de chômage des 3 derniers mois est au moins 0,5 % plus élevée que son creux des 12 derniers mois, une récession s’est invariablement déclenchée aux États-Unis. Après que la Réserve Fédérale (Fed) eut maintenu son taux directeur inchangé mercredi dernier, les investisseurs semblent craindre que la politique monétaire américaine soit maintenant beaucoup trop restrictive pour faire face aux conditions économiques actuelles. Certains observateurs ont même appelé la Fed à procéder à une baisse d’urgence, ayant lieu avant la rencontre prévue en septembre, ou encore à commencer le cycle de baisse avec un ajustement du taux des fonds fédéraux d’au moins 50 points de base. Il faut cependant rappeler qu’un indicateur basé sur des observations historiques tel que la règle de « Sahm » comporte des limites importantes. Dans une interview récente, l’économiste Claudia Sahm est même intervenue afin de rappeler que sa règle pourrait très bien ne pas être applicable dans le contexte actuel. Bien que le signal soit préoccupant, nous ne croyons pas qu’il marque le début d’une récession.
Alors que depuis plusieurs mois, les baisses des taux sur les obligations gouvernementales s’accompagnaient d’une réaction positive des marchés, cette relation s’est entièrement renversée au cours des derniers jours. Les investisseurs semblent maintenant anticiper que des taux d’intérêt beaucoup plus faibles pourraient ne pas être suffisants pour éviter des difficultés économiques. Les niveaux de valorisation des titres boursiers américains expliquent aussi l’ampleur du recul alors que le S&P 500 affiche un ratio cours-bénéfice moyen près de ses sommets historiques, tiré à la hausse par l’engouement récent pour les technologies de l’intelligence artificielle (graphique 2). Les prix de plusieurs matières premières ont aussi chuté en parallèle avec les indices boursiers, tout comme la valeur de la plupart des cryptomonnaies. Le prix d’un baril de pétrole WTI (West Texas Intermediate) a aussi perdu plus de 5,0 $ US depuis le début du mois.
Les mouvements ont été particulièrement brutaux pour la Bourse japonaise, qui est doublement pénalisée par les craintes de récession, et par une rapide réappréciation du yen. Le taux de change est passé de plus de 161 ¥/$ US à 144 ¥/$ US, soit une variation de près de 12 %. Une appréciation du yen est habituelle dans un contexte de plus grande aversion pour le risque, mais les mouvements semblent amplifiés par la faiblesse récente du yen et le changement de ton de la Banque du Japon, qui a augmenté son taux directeur à 0,25 point de bases, et indique maintenant vouloir continuer de raffermir sa politique monétaire (graphique 3). La rapide réappréciation réduira la compétitivité des entreprises japonaises dans un contexte où la demande mondiale est déjà faible. Les marchés européens et canadiens ont aussi reculé, mais dans une moindre mesure. La Bourse canadienne était fermée lundi, elle a donc pu éviter le plus fort de la volatilité, mais elle affichait un recul de près de 1,5 % mardi en matinée.
Implications
L’évolution des données économiques et la réaction des marchés compliqueront grandement la tâche des banques centrales. Les investisseurs anticipent déjà que la Fed pourrait devoir procéder à une baisse de 50 points de base en septembre. La pression des marchés pourrait aussi se traduire par une plus grande pression politique dans le contexte de la campagne électorale américaine. Les élections risquent également d’être une source de volatilité supplémentaire pour les marchés, tout comme pourrait l’être la détérioration de la situation au Moyen-Orient. Les forts niveaux de valorisation des compagnies américaines placent l’indice S&P 500 particulièrement à risque dans ce contexte, et une correction semble probable si les données économiques continuent de décevoir. Les tensions financières et l’aversion pour le risque peuvent décupler l’effet restrictif de la politique monétaire et précipiter l’économie vers un ralentissement encore plus brutal. C’est pourquoi les banquiers centraux devront prendre acte des mouvements récents des marchés et être prêts à réagir fortement au besoin, une tâche difficile dans un contexte où l’inflation demeure un risque à surveiller. Les mouvements récents ont certainement retiré tous les doutes restants sur la première baisse de 25 points de base du taux directeur de la Fed en septembre. Notre scénario stipule encore que l’économie américaine devrait pouvoir éviter une récession. Il faudra attendre plus de clarté pour savoir si un ajustement plus important sera requis.
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