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Commentaire hebdomadaire

Finances publiques américaines : entre les souhaits du président Trump et la réalité

28 mars 2025
Francis Généreux
Économiste principal

« BALANCED BUDGET!!! DJT »

Ce cri du cœur exprimé par Donald Trump sur la plateforme Truth Social à 7 heures du matin le vendredi 7 février est plutôt difficile à déchiffrer. S’agissait‑il d’un simple souhait? Était‑ce une réelle directive à l’ensemble de l’appareil administratif et politique sous sa gouverne? Ou faut‑il le voir comme une promesse destinée aux 9,3 millions de personnes qui le suivent sur ce réseau social et aux 341 millions d’Américains?

Dans tous les cas, la barre est haute pour les États‑Unis. Le gouvernement fédéral a terminé l’exercice 2024 (au 30 septembre dernier) avec un déficit de 1 832,4 G$ US (6,4 % du PIB). La situation s’est détériorée au cours des cinq premiers mois de l’exercice 2025 (débuté en octobre), où les déficits mensuels cumulés étaient 318,5 G$ US plus élevés que pour les cinq premiers mois de l’exercice 2024.

Les lois en place au moment de l’inauguration de Donald Trump comme 47e président des États‑Unis ne pointaient pas non plus vers une amélioration importante. Le Congressional Budget Office (CBO) tablait en janvier dernier sur un déficit de 1 865 G$ US au terme du présent exercice qui s’achèvera en septembre.

Pour l’exercice 2026, la situation serait possiblement un peu mieux avec un déficit prévu de 1 713 G$ US. Mais cela est sur une base de lois actuelles et ne tient donc pas compte du prolongement complet, partiel ou même bonifié des baisses d’impôt de 2017, qui devraient prendre fin le 31 décembre prochain. Une poursuite totale de celles‑ci amènerait un déficit primaire supplémentaire d’au moins 232 G$ US (avant les effets sur le service de la dette) pour l’exercice 2026, selon les estimations du CBO. Le gouvernement fédéral se rapprocherait ainsi d’un manque à gagner annuel de 2 000 G$ US pour l’an prochain! C’est loin, très loin d’un budget équilibré! Sur dix ans, le coût de reconduction du prolongement des baisses d’impôt serait de 4 300 G$ US.

Est‑ce que le président Trump et la majorité républicaine du Congrès pourront renverser la vapeur? On sent les efforts de la Maison‑Blanche, notamment du côté du « Department of Government Efficiency » (DOGE), mais la balle est plutôt dans la cour du Congrès.

Celui‑ci planche sur un budget pour l’exercice 2026 avec, comme priorité, le renouvellement des baisses d’impôt de 2017. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres et les étapes à franchir pour y arriver sont nombreuses.

 

Un shutdown évité

Il fallait avant tout résoudre la question du financement du gouvernement pour l’exercice en cours et ainsi éviter un shutdown qui risquait de sévir plus tôt ce mois‑ci. Cela a été réglé par l’adoption d’une continuing resolution permettant le financement de la plupart des départements au niveau déjà en cours, en plus de quelques bonifications des dépenses militaires (+6 G$ US) et d’une baisse de 13 G$ US d’autres dépenses (notamment en santé, éducation, logement et développement urbain, environnement et services sociaux)1.

 

Et le plafond de la dette?

Si un arrêt partiel du gouvernement a pu être évité, la question du plafond n’a toutefois pas été résolue. Ce plafond a été atteint le 21 janvier et, depuis, le Trésor américain utilise des mesures spéciales afin de continuer de financer le gouvernement sans émettre de nouvelles dettes sur les marchés. Toutefois, ces mesures spéciales ont une limite, qui devrait être atteinte, selon le CBO, en août ou en septembre. Dans le cas où les besoins financiers du gouvernement sont plus grands que ce que prévoit le CBO, la date butoir pourrait même survenir aussi tôt qu’en mai. Afin d’éviter un défaut de paiement du gouvernement, le Congrès devra bientôt agir. Il pourrait profiter des projets de loi visant à établir le prochain budget. Si ceux‑ci tardent trop, une autre loi devra être adoptée avant, probablement avec l’approbation de sénateurs démocrates (pour éviter un filibuster).

 

Vers un budget?

La question du filibuster est aussi un enjeu crucial pour l’adoption d’un budget à saveur républicaine pour l’exercice 2026. Il est plutôt clair que les principales promesses électorales des républicains et du président Trump ne pourront être adoptées au Sénat avec les 60 voix nécessaires pour éviter un blocage parlementaire des démocrates. Des processus (dits de réconciliation) pour passer outre cette contrainte existent, mais ils sont restreints.

Les premières bases de ce budget 2026 ont été posées par la majorité républicaine de la Chambre des représentants. En quoi consistent‑elles? Selon le Committee for a Responsible Federal Budget et sur un horizon de dix ans (la période usuelle pour les lois et analyses budgétaires fédérales), le projet repose sur des dépenses supplémentaires de 300 G$ US pour la défense, la sécurité intérieure et le secteur judiciaire. Du même souffle, on y retrouve des instructions de coupes budgétaires de près de 2 000 G$ US (toujours sur dix ans), entres autres du côté de l’énergie et du commerce (‑880 G$ US, notamment en mettant fin à des mesures de l’administration Biden), de l’éducation et de la fonction publique (‑330 G$ US), en agriculture (‑230 G$ US, y compris les programmes d’aide alimentaires aux ménages moins fortunés). Il y aussi des dépenses fiscales (ou baisses d’impôt) de 4 500 G$ US sur dix ans, soit, grosso modo, le coût du prolongement des baisses d’impôt de 2017, incluant le service de la dette qui y serait associé. Pour le moment, il y a peu de place pour les autres baisses d’impôt promises par Donald Trump pendant la campagne électorale Lien externe au site., dont la diminution de l’impôt sur les entreprises, les exclusions de l’impôt sur les pourboires, les heures supplémentaires ou les revenus de sécurité sociale (qui pourraient ensemble totaliser un coût de 3 550 G$ US sur dix ans). Excluant la question des impôts de 2017 ou de nouvelles mesures fiscales, la proposition républicaine amènerait une baisse des déficits d’environ 1 700 G$ US sur dix ans ou, en moyenne, 170 G$ US par année. Étant donné l’ampleur des déficits existants ou prévisibles selon les lois actuelles, on est loin d’un équilibre!

Les républicains du Sénat ont aussi mis de l’avant leurs propres propositions. Toutefois, afin d’arriver à un processus de réconciliation visant à limiter le pouvoir d’obstruction des démocrates, ils devront plutôt travailler à partir de la version des représentants. Les efforts pour arriver à une seule proposition identique pour les deux chambres et satisfaisante pour le président se continueront donc au cours des prochaines semaines. Les leaders républicains espèrent ficeler le tout au début d’avril, mais cela semble peu réaliste.

 

DOGE et Tariff Man à la rescousse?

Ce qui a été proposé jusqu’à maintenant par le Congrès est clairement insuffisant pour tôt ou tard arriver à un équilibre budgétaire aux États‑Unis, voire s’en approcher. Jusqu’à maintenant, les efforts de redressement financier semblent plutôt provenir de la Maison‑Blanche, avec l’aide non conventionnelle d’Elon Musk ou de la politique commerciale.

Grand cas a été fait des tentatives de coupes budgétaires ou de réduction de la fonction publique par le DOGE, officieusement piloté par le haut dirigeant de Tesla et de SpaceX. Sous les auspices de modernisation des technologies de l’information permettant de déceler gaspillages et fraudes, plusieurs occasions d’épargne budgétaire semblent avoir été trouvées. Les dernières compilations du DOGE Lien externe au site. additionnent à 130 G$ US l’ensemble des « coupes » effectuées. Toutefois, seulement 30 % de ces sommes sont présentement publiées et, depuis le début de l’exercice, plusieurs erreurs et exagérations ont été répertoriées. Le montant réel et vérifiable des épargnes serait possiblement bien plus mince, même sous les 10 G$ US Lien externe au site.. De plus, c’est sans compter les arrêts de procédure exigés par différents tribunaux alors que la légalité constitutionnelle des actions du DOGE est remise en question.

Même si ces coupes vont de l’avant et qu’on les additionne aux autres décisions de l’administration Trump, notamment la suppression complète d’agences (aide étrangère, département de l’éducation…), ce réalignement de l’État imposé par le président Trump semble encore insuffisant pour rééquilibrer les finances publiques. De plus, les priorités du président Trump, notamment en lien avec l’immigration et la sécurité, pourraient entraîner des dépenses supplémentaires à ce qui est déjà prévu ou même proposé dans les projets budgétaires républicains.

Il faudra donc aller chercher plus de revenus. Mais, étant donné que le président et les républicains sont allergiques aux hausses d’impôt, cette solution est mort‑née… À moins de la déguiser en politique commerciale.

Les tarifs sont, pour Donald Trump, la solution à tous les maux, y compris les maux budgétaires. Depuis longtemps, et particulièrement au cours de la récente campagne électorale, il propose les tarifs comme source de renouveau industriel américain, mais aussi de revenus substantiels pour le gouvernement fédéral. Tout cela en faisant miroiter, à tort, qu’ils seront payés par les étrangers (alors que ce sont normalement les importateurs américains qui paient ces frais auprès de l’agence frontalière américaine). Au cours de l’exercice budgétaire 2024, les droits de douane ont amené 83,7 G$ US dans les coffres du gouvernement. Ce montant devrait augmenter considérablement. Si Donald Trump va de l’avant avec tout ce qu’il a déjà mis en place ou concrètement annoncé comme ajustement de la politique commerciale (hausse des tarifs envers la Chine, le Mexique et le Canada, ainsi que les tarifs supplémentaires sur l’acier et l’aluminium et sur les automobiles), mais sans compter les autres annonces qui devraient arriver au début d’avril, les droits de douane devraient quadrupler. Selon les hypothèses de nos plus récents scénarios économiques où les exemptions pour le Canada et le Mexique se terminent et où des tarifs dits de réciprocité équivalents à 25 % sont imposés en avril pour les autres pays, la somme perçue pourrait atteindre environ 800 G$ US par année. Cela est toutefois un calcul statique basé sur le niveau d’importations de 2024. De tels tarifs vont normalement avoir une incidence négative sur le volume d’importations, en plus de nuire à la croissance économique (nos scénarios tablent sur une récession technique en 2025), et les revenus réalisés seront nécessairement plus bas. De plus, nos scénarios tablent sur une baisse des tarifs à partir de 2026.

La somme recueillie grâce aux tarifs ne serait quand même pas négligeable. Si on l’ajoute aux baisses de dépenses potentielles issues des actions du DOGE et, surtout, aux restrictions annoncées du rôle du gouvernement fédéral, on pourrait voir un effet total relativement important et perceptible sur le déficit. Mais, serait‑ce assez pour arriver à un budget équilibré? Il semble que non. En étant très optimiste, on pourrait réduire le manque à gagner annuel d’environ 1 000 G$ US, ce qui reste sous les déficits prévus et c’est sans compter le coût budgétaire de nouvelles baisses d’impôt.

BALANCED BUDGET? Pas encore, M. le président!

 

1 Cette loi empêche aussi les membres du Congrès de tenter de mettre fin aux déclarations d’urgence signées par Donald Trump le 1er février qui justifiaient l’imposition de tarifs additionnels sur les importations en provenance de la Chine, du Mexique et du Canada. 

Lire la publication Indicateurs économiques de la semaine du 18 au 22 juillet 2022

Consultez l'étude complète en format PDF.

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