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Jimmy Jean
Vice-président, économiste en chef et stratège
Cinq constats sur les événements de la semaine
1. Même pas proche
Le traumatisme causé par l’élection de 2020, de même que des candidats toujours au coude-à-coude dans les sondages, a fait que la plupart des gens croyaient que cette élection serait serrée, nécessiterait des recomptages et pourrait être contestée. On a plutôt assisté à une victoire écrasante de Trump, qui a balayé le « Mur bleu » des démocrates, a rallié des groupes clés, dont les femmes blanches, à sa cause et a gagné des appuis chez les électeurs latino-américains et noirs. Cette victoire survient malgré une campagne démocrate beaucoup plus coûteuse que celle de son adversaire (et même que toute campagne précédente). Nous laissons le soin aux commentateurs de décortiquer le virage monumental à droite que viennent de prendre les États-Unis mais, pour l’instant, gardons en tête que le virage à droite qui se passe ici au Canada, bien perceptible dans les récents sondages, pourrait aussi être sous-estimé. Cela pourrait influencer les promesses qui seront faites lors des prochaines élections.
2. Ils se sont fait monter un bateau
À tout le moins, les sondages auront été utiles pour mettre en lumière les principales préoccupations des Américains. Les électeurs démocrates se sont concentrés en grande partie sur des questions comme la démocratie, le droit à l’avortement et la composition de la Cour suprême, tandis que les républicains se souciaient plutôt de l’économie, de l’immigration et de la sécurité nationale. L’un des aspects les plus étranges de cette élection est la perception de l’économie : malgré la bonne performance de celle-ci, la résilience du marché du travail et la robustesse du marché boursier, l’inflation fait encore très mal à la confiance. C’est compréhensible. Pourtant, il est assez surprenant de voir que les électeurs ont appuyé un candidat qui promet de relever presque tous les défis économiques à l’aide de mesures tarifaires et d’expulsions, des méthodes qui vont assurément exacerber l’inflation. Le même candidat qui prétend qu’il va réduire le prix du panier d’épicerie a l’intention d’imposer des barrières tarifaires sur des articles comme le café, les fruits de mer, les avocats et une variété d’autres aliments importés. Bien que l’attrait qu’exerce Trump sur les électeurs qui n’ont pas de formation universitaire soit bien connu, ce résultat témoigne d’une méfiance accrue à l’égard de la science et de l’expertise, une attitude qui a gagné de plus en plus de gens depuis au moins 2016. Cette méfiance est maintenant arrivée à pleine maturité, et la désinformation a joué un rôle de premier plan dans cette élection.
3. Le « Trump Bump », partie 2
Le S&P 500 s’approche de 6 000 points alors que Wall Street s’enthousiasme pour un programme qui comprend des réductions d’impôt, de la déréglementation et des politiques favorables aux énergies fossiles et aux cryptomonnaies. En seulement trois jours, le marché boursier a réalisé des gains qu’il lui avait fallu un mois pour obtenir en 2016. Cette effervescence survient alors même que 2024 est l’une des meilleures années pour les marchés boursiers américains depuis 2000. Pendant combien de temps l’« effet Trump » durera-t-il? Contrairement à 2016, on s’attend maintenant à ce que le programme protectionniste de Trump soit pris plus au sérieux. Ses prochaines nominations au sein du Cabinet indiqueront s’il privilégie la compétence ou l’idéologie. Le protectionnisme de Trump d’aujourd’hui a des ramifications beaucoup plus larges que les mesures plus ciblées de son premier mandat. Pour l’instant, la position des marchés boursiers semble être de traverser le pont une fois rendu à la rivière. Mais, à terme, il leur faudra bien le franchir, ce cours d’eau métaphorique, ce qui pourrait mettre fin à leur lune de miel avec le nouveau président.
4. Les marchés obligataires ne sont pas entichés de Trump
Non seulement les taux obligataires américains de 10 ans ont bondi de près de 20 points de base mercredi mais, de façon générale, les obligations sont délaissées depuis la mi-septembre, sur fond d’une augmentation de la prime du terme. Comme nous l’avons souligné la semaine dernière Lien externe au site., le gouvernement américain a affiché un déficit de 1 800 G$ en 2024. En fait, les États-Unis sont le pays de l’OCDE avec le plus grand déficit budgétaire primaire, et les deux candidats à la présidence ont offert peu de signaux suggérant que cette question serait réglée sous peu. À vrai dire, Trump a lancé des idées radicales, comme l’abolition complète de l’impôt sur le revenu ou le remboursement de la dette du gouvernement américain (plus de 26 000 G$) en « remettant un petit chèque en cryptomonnaie ». On a déjà vu des marchés obligataires s’effondrer ailleurs à la suite de développements budgétaires beaucoup moins spectaculaires. Même si les États-Unis bénéficient d’un niveau de clémence plus élevé de la part des investisseurs par rapport à leur situation budgétaire, il y a des limites aux chèques en blanc que continueront de faire les investisseurs pour la vaste émission d'obligations que cela implique. À moins, bien sûr, que l’on ne croie sérieusement que tout ce temps, l’aspiration de carrière d’Elon Musk, l’homme le plus riche de la planète, était de devenir un tsar de l’austérité. Alors, s’il fallait que les investisseurs en actions s’emballent en faisant fi des risques à la baisse émanant des politiques de Trump, les marchés obligataires pourraient tout de même les rappeler à l’ordre.
5. Diplomates canadiens, faites quelque chose
Barrières tarifaires, menaces (bien que peu crédibles) d'un démantèlement de l’Inflation Reduction Act et de ses incitatifs liés à l’énergie renouvelable, aux véhicules électriques et aux batteries (auxquels le Canada s’est stratégiquement associé), expulsions, risques à la hausse sur les taux d’intérêt sur les marchés : en résumé, Trump 2.0 pourrait chambouler l’économie canadienne. Hormis un espoir irréaliste de diversification des exportations à l’extérieur des États-Unis, il y a peu que l’on puisse recommander aux décideurs canadiens en termes de politiques économiques. Il incombe maintenant aux diplomates et aux groupes de pression de tirer profit de leurs réseaux et de leurs compétences relationnelles pour convaincre l’administration Trump d’accorder un traitement de faveur au Canada et de préserver l’ACEUM. Contrairement à l’administration actuelle, il est peu probable que Trump, qui semble prêt à se retirer de l’Accord de Paris de nouveau, se soucie autant des minéraux critiques du Canada. Le fait que le Canada ait instauré des barrières tarifaires contre les véhicules électriques chinois et se soit engagé à augmenter ses dépenses de défense pourrait jouer en sa faveur. Le secteur automobile américain est en grande partie implanté dans des États républicains et fournit des emplois à un grand nombre de partisans de Trump, ce qui pourrait aussi aider. Il s’agira tout de même d’une tâche à la fois colossale et délicate, mais d’une importance vitale pour le Canada.
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