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Francis Généreux
Économiste principal
Élections et finances publiques : doit-on s’inquiéter?
La tension et l’incertitude entourant les élections américaines du 5 novembre sont à leur comble. Les sondages se sont resserrés et les écarts séparant Donald Trump et Kamala Harris dans les intentions de vote sont bien à l’intérieur des marges d’erreur des différentes enquêtes. Présentement, personne ne peut clairement prévoir qui occupera le Bureau ovale le 20 janvier prochain.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas se préparer à certaines éventualités… Et c’est ce que les marchés financiers semblent en train de faire. Des mouvements favorables au candidat républicain dans les sondages ont amené certains ajustements dans les portefeuilles. La volatilité sur le marché boursier américain est nettement plus élevée qu’elle ne l’était en première moitié de l’année. La volatilité du marché obligataire est également en hausse. On remarque notamment une augmentation des taux de rendement sur les marchés obligataires. Depuis un mois, le taux des obligations américaines d’une échéance de dix ans a bondi de plus de 60 points de base pour atteindre près de 4,30 %. Plusieurs facteurs contribuent à cette augmentation des taux. Premièrement, la conjoncture économique américaine demeure solide, comme on l’a vu avec certaines des données publiées cette semaine. Le PIB réel du troisième trimestre ainsi que la confiance des consommateurs selon l’indice du Conference Board ont affiché de bons résultats. Même la contreperformance des résultats de l’emploi (largement due aux ouragans et à un conflit de travail) n’a pas vraiment changé la donne. Cela devrait inciter la Réserve fédérale à ne pas presser le pas dans la normalisation de ses taux directeurs et, conséquemment, cela tire bien moins vers le bas les taux de plus longues échéances.
Il ne faut toutefois pas sous-estimer l’effet des élections sur les perspectives des marchés financiers, et du marché obligataire en particulier. Comme nous l’avons indiqué dans notre Point de vue économique Lien externe au site. portant sur les enjeux de l’élection et les propositions des candidats, les programmes présentés par Kamala Harris et, spécialement, par Donald Trump ont une saveur inflationniste et, surtout, pourraient avoir des conséquences importantes sur les finances publiques américaines.
Cela est d’autant plus vrai que la situation financière du gouvernement fédéral américain laisse à désirer. C’est ce que nous montrent les résultats de l’exercice 2024 qui s’est achevé le 30 septembre avec un déficit public de 1 832,8 G$ US. C’est une détérioration par rapport au déficit de 1 695,2 G$ US enregistré à l’exercice 2023.
Pourquoi les finances publiques fédérales se sont-elles à nouveau détériorées?
Le plus gros manque à gagner ne vient pas des revenus du gouvernement. Ces derniers se sont plutôt accrus de 479,5 G$ US, soit une hausse de 10,8 %. Aidée par des revenus plus grands chez les ménages et une inflation encore présente, l’imposition du revenu des particuliers a augmenté de 11,5 % et explique environ la moitié de la hausse des recettes du gouvernement.
C’est du côté des dépenses où le bât blesse. Elles ont bondi de 10,1 %, soit de 617,0 G$ US durant l’exercice 2024. Une partie de cette hausse provient d’un niveau artificiellement trop bas en 2023 qui ne comprenait pas des changements opérés dans les programmes de prêts étudiants à la suite d’une décision de la Cour suprême. Si l’on en tient compte, la hausse est plutôt de 283 G$ US (+4,4 %). Le service de la dette est responsable d’une bonne partie de cette augmentation, soit 254 G$ US, et ce, surtout à cause de taux d’intérêt plus élevés. On remarque aussi, entre autres, de plus grandes dépenses pour la sécurité sociale (+103 G$ US), pour la défense (+50 G$ US) et pour le programme Medicare (+28 G$ US) qui ont été en partie compensées par des baisses du côté du programme d’assurance-dépôt (-55 G$ US), du programme de garantie des pensions (-28 G$ US) et du programme d’aide alimentaire aux plus démunis (-28 G$ US).
Une dette toujours plus élevée…
L’ampleur du déficit en 2024 fait évidemment grimper la dette à nouveau. Elle se situait à 35 464,7 G$ US au 30 septembre. Si l’on ne tient compte que de la dette détenue par le public (qui exclut les comptes fédéraux intergouvernementaux, mais qui inclut ce que détient la Réserve fédérale), la dette était de 28 307 G$ US. Cela représente environ 98 % du PIB, en hausse par rapport au ratio de 96 % de la fin de l’exercice 2023.
Il est probable que la dette publique dépasse le PIB au cours des prochains exercices. Dans ses prévisions de juin dernier, le Congressional Budget Office (CBO) sous-estimait un peu l’ampleur du déficit et de la dette pour 2024 et voyait une dette détenue par le public à 99 % en 2025 et à 101,6 % en 2026.
Et ce ne sont pas les programmes des deux principaux candidats à cette élection qui vont arranger les choses. Dans notre Point de vue économique Lien externe au site., nous estimions que le coût des principales mesures proposées par Kamala Harris pouvait faire gonfler les déficits de 2 695 G$ US en dix ans malgré quelques éléments d’augmentation des recettes fiscales. Du côté de Donald Trump, la facture est encore plus élevée, soit 4 900 G$ US et cela n’inclut pas d’autres propositions de baisses d’impôts mises de l’avant au cours des récentes semaines (non plus d’éventuels programmes de diminutions – non précisées – des dépenses fédérales, y compris une commission à ce sujet qui serait vraisemblablement dirigée par Elon Musk).
Beaucoup d’inconnues
Il est cependant difficile de croire que le candidat qui sera élu à l’issue du vote de mardi prochain pourra faire tout ce qu’il souhaite dès qu’il arrivera à la Maison‑Blanche en janvier. La conjoncture économique et géopolitique peut rapidement faire changer les priorités d’une nouvelle administration.
Si l’élection présidentielle est difficile à prévoir, on ne connaît pas non plus la composition future du Congrès. Au moment d’écrire ces lignes, les probabilités pointaient vers une courte majorité républicaine au Sénat et une mince majorité démocrate à la Chambre des représentants. Soit l’inverse de la composition actuelle. Un Congrès divisé freine toujours les ardeurs de la Maison‑Blanche. Dans une telle éventualité, mais sous une présidence Harris, on pourra supposer une situation assez proche de ce que l’on voit actuellement, où peu de nouveaux programmes sont mis de l’avant, mais aussi où il n’y a pas d’effort sérieux de rééquilibrage des finances publiques. Si c’est Trump qui est président avec une chambre à majorité démocrate, ses nouvelles mesures de baisses d’impôts seraient probablement mort-nées.
On sent que les marchés escomptent davantage une possible victoire de Donald Trump, et que le président irait surtout de l’avant avec ses baisses d’impôts, mais moins avec les programmes qui, selon l’avis assez généralisé parmi les économistes, seraient plus dommageables pour la croissance (tarifs globaux et déportation d’immigrants). Une telle situation serait probablement la plus profitable pour les entreprises américaines. Toutefois, un Congrès divisé est moins favorable à cette éventualité. Sans majorité, de nouvelles baisses d’impôts aux entreprises et aux individus plus fortunés seraient difficiles à faire adopter, mais le président garde une marge de manœuvre plus grande sur les enjeux de la politique commerciale et de la politique d’immigration. Les États‑Unis (et le Canada Lien externe au site.) pourraient donc devoir vivre avec les conséquences de mesures plus néfastes pour la croissance et aussi plus inflationnistes, mais sans l’effet potentiellement plus positif de baisses supplémentaires d’impôts.
Au terme de cette longue campagne électorale, il y a encore beaucoup d’incertitudes qui, même après le 5 novembre, pourraient provoquer des soubresauts de la confiance des consommateurs (on peut penser aux revirements partisans au sein des indices de confiance en 2016 et en 2020) et alimenter la volatilité des marchés. Malheureusement, il semble y avoir une quasi-certitude : c’est qu’à moins d’un revirement majeur de situation et d’une dose invraisemblable de courage politique, les finances du gouvernement américain ne semblent pas près de s’améliorer.
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