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Commentaire hebdomadaire

Élection présidentielle aux États-Unis : le débat économique n’a pas vraiment eu lieu

5 juillet 2024
Francis Généreux
Économiste principal

Les sondages montrent que les questions économiques, notamment l’inflation et le coût de la vie, demeurent les enjeux majeurs de l’élection présidentielle américaine. Toutefois, on sent que les opinions concernant les personnalités de Donald Trump et de Joe Biden et leur capacité à gouverner sont parmi les principaux éléments qui formeront le choix des électeurs américains le 5 novembre prochain. D’ailleurs, lors du débat du 27 juin, l’attention s’est largement concentrée là-dessus, y compris sur la piètre performance du président Biden. Les discussions économiques qui y ont eu lieu ont été vite oubliées.

 

Durant le débat, le président Biden n’a pas réussi à parer efficacement les attaques de Donald Trump à l’égard de la situation économique des États-Unis. Trump a répété à maintes reprises que l’économie actuelle était désastreuse comparativement à une situation idyllique lors de son mandat. Biden a rétorqué que l’économie s’était effondrée avec la mauvaise gestion de la pandémie par son prédécesseur et qu’il fallait « remettre les choses en place ». Cela dit, le reste du débat a peu porté sur de réels enjeux économiques. Les modérateurs ont certes posé des questions sur le coût de la vie et sur les finances publiques (y compris la reconduite des baisses d’impôt de 2018 ainsi que le financement du programme de sécurité sociale), mais les propos des candidats ont vite bifurqué. D’autres éléments à conséquences économiques ont été abordés, comme la crise climatique, l’immigration et le coût de la garde d'enfants. Les réponses ont souvent été évasives et il a été difficile de trouver dans toutes ces discussions une image claire de ce que les deux présidents espèrent accomplir de nouveau dans un deuxième mandat afin de faire évoluer l’économie américaine dans un contexte où les défis de moyen et long terme sont importants Lien externe au site.. En fait, chacun d’eux propose surtout la continuité de son propre mandat.

 

Selon Donald  Trump, la période prépandémique peut être qualifiée de meilleure économie dans l’histoire du pays, et ce, grâce à la plus importante baisse d’impôt de l’histoire et à la plus grande déréglementation de l’histoire. Il soutient aussi que les baisses d’impôt, notamment aux entreprises, ont permis d’engranger plus de revenus fiscaux. On peut douter de certains de ces arguments. Non, les baisses d’impôt Lien externe au site. et la diminution de la réglementation Lien externe au site. n’ont pas été les plus vastes de l’histoire, mais elles ont tout de même été importantes. Leur effet est toutefois difficile à discerner clairement. Il est vrai qu’en 2018-2019, l’économie américaine progressait plutôt bien avec une croissance moyenne de 2,7 % du PIB réel alors que le potentiel était estimé à 2,1 %. Mais la croissance des deux années qui ont suivi les baisses d’impôt n’a pas été très différente des deux années qui les ont précédées, soit une progression moyenne du PIB réel de 2,6 % en 2016-2017. Toutefois, il y a eu un coût net important pour les finances publiques alors que les revenus provenant de l’impôt des particuliers et surtout des entreprises ont diminué en proportion du PIB. Avec un déficit de 984 G$ US durant l’exercice budgétaire 2019, le gouvernement fédéral était loin d’être « prêt à commencer à rembourser la dette » comme l’a affirmé l’ancien président durant le débat. De plus, la croissance de l’emploi affichait un certain ralentissement au début de 2019 et les inquiétudes concernant une fin de cycle économique imminente étaient en hausse, la Réserve fédérale (Fed) ayant même diminué ses taux directeurs à trois reprises à l’été et à l’automne 2019.

 

Pendant le débat, il était clair que Trump souhaite appliquer la même recette de baisses d’impôt (en renouvelant complètement les baisses de 2018) et de déréglementation s’il retourne à la Maison-Blanche. Il suggère en plus d’imposer un tarif de 10 % sur toutes les importations américaines de biens (et 60 % sur celles provenant de la Chine) qui, selon lui, aiderait la situation économique et réduirait considérablement le déficit budgétaire. On peut en douter. Certes, de tels tarifs pourraient de façon brute et statique permettre au gouvernement d’engranger 227 G$ US par année Lien externe au site., mais c’est sans compter les effets d’un changement du volume des échanges commerciaux (et de leur provenance), de la variation du taux de change ainsi que des conséquences négatives sur la croissance économique. De plus, ces nouveaux tarifs contribueraient à accélérer l’inflation Lien externe au site., ce qui pourrait inciter la Fed à garder plus élevés ses taux d’intérêt. Ils seraient aussi très régressifs Lien externe au site. en affectant davantage les Américains les plus pauvres. Finalement, un autre pan important de ce que propose Trump a trait à l’immigration, qu’il faudrait selon lui promptement freiner. Comme Biden l’a mentionné lors du débat, cela entraînerait des conséquences négatives sur la croissance alors que la main-d’œuvre que procurent les travailleurs étrangers est essentielle à l’activité économique. Selon diverses hypothèses Lien externe au site., les déportations massives suggérées par le candidat républicain risqueraient de provoquer à la fois une chute du PIB réel et un bond de l’inflation. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’à la suite de la bonne performance relative de Trump au débat, les taux de rendement sur le marché obligataire américain ont augmenté pendant plusieurs jours, alors que les investisseurs appréhendent le potentiel inflationniste des politiques d’une seconde administration Trump. Il faut aussi signaler l’absence de véritable proposition républicaine en vue de lutter contre les changements climatiques, un enjeu pourtant important avec des conséquences directes sur l’économie  Lien externe au site.et la situation financière des ménages américains Lien externe au site..

 

Le président Biden n’a pas réussi à mettre efficacement en lumière les problèmes que pourraient occasionner les politiques suggérées par son prédécesseur. Il a critiqué le bilan économique et budgétaire du président Trump, mais en omettant souvent que ce bilan a été grandement terni par la pandémie. Il a cependant mentionné la lettre signée par 16 prix Nobel en économie Lien externe au site. qui souligne les risques occasionnés par une seconde administration Trump. Il aurait aussi pu se servir de ce document pour mousser ses propres réalisations alors que ces économistes louangent les « investissements majeurs dans l’économie américaine, notamment dans les infrastructures, l’industrie manufacturière nationale et le climat. Ensemble, ces investissements sont susceptibles d’augmenter la productivité et la croissance économique tout en réduisant les pressions inflationnistes à long terme et en facilitant la transition vers les énergies propres. »

 

Le problème pour Joe Biden est que les électeurs ne semblent pas bien voir les fruits de ces politiques. Les républicains, y compris M. Trump, ainsi que les médias qui leur sont favorables, ont bien réussi à associer les dépenses et investissements du gouvernement fédéral depuis la pandémie à la hausse du coût de la vie et à les dissocier de la bonne croissance économique, de la résilience du marché du travail et du ralentissement de l’inflation depuis son sommet de 2022.

 

Aux États-Unis comme ailleurs, la population souffre encore des hausses cumulées de prix depuis la pandémie. Elle espère, en vain, revoir les prix d’il y a cinq ans alors que les gouvernements et les banques centrales ne semblent offrir qu’une inflation plus modeste et plus proche de la cible de 2 %. La hausse du coût de la vie reste l’un des principaux problèmes économiques perçus par les électeurs américains. Dans ce contexte, les objectifs généralement louables, mais moins terre-à-terre de l’administration Biden, comme la lutte aux changements climatiques et l’électrification des transports, la performance relative du secteur manufacturier américain, l’amélioration du fonctionnement des chaînes d’approvisionnement, le financement futur des programmes sociaux et l’atténuation des écarts de richesse, paraissent lointains et les Américains n'en voient pas concrètement les fruits. Le fait qu’à l’instar de Trump, Biden propose aussi more of the same n’aide pas, et les électeurs le font savoir en signalant dans les sondages qu’ils font davantage confiance à Trump pour les questions économiques. Les attaques de Trump sur le bilan ou les propositions de Biden, bien que vives, sont pourtant assez facilement réfutables. Non, le coût des aliments n’a pas « doublé, triplé et quadruplé ». Les prix à l’épicerie ont plutôt augmenté de 26,4 % depuis décembre 2019 (ce qui n’est tout de même pas négligeable). Non, les États-Unis n’ont présentement pas « leur plus large déficit avec la Chine »; en supposant que Trump parle du déficit commercial, c’est plutôt le plus petit depuis 2010, et le Canada et le Mexique ont maintenant dépassé la Chine comme principale source d’importations américaines. Non, le programme de Biden ne cherche pas à « multiplier par quatre les impôts de tout le monde ». Ce programme, en grande partie, déjà intégré à la proposition budgétaire 2025 Lien externe au site. de la Maison-Blanche, ferait passer l’impôt personnel en proportion du PIB de 8,9 % en 2024 à 10,3 % en 2029. En hausse, certes, mais rien de vraiment déstabilisant, d’autant plus que les augmentations d’impôt suggérées ne toucheraient pas les revenus de moins de 400 000 $ US.

 

D’autres éléments du bilan ou du programme de Biden sont pourtant critiquables. Il est vrai que l’administration en place a fait peu d’efforts pour entamer une véritable et durable amélioration des finances publiques, et ce, en pleine période de croissance économique. On peut aussi douter de l’intérêt des Américains à conserver plusieurs des tarifs mis en place sous Trump et à en augmenter d’autres sur certaines importations en provenance de la Chine. Dans un contexte où la lutte contre les changements climatiques est primordiale, imposer davantage les importations de véhicules électriques n’est-il pas contre-intuitif? Et pourrait-on voir bientôt le fruit des efforts onéreux de soutien du secteur manufacturier américain alors que la construction a bondi au sein de la fabrication, mais que la croissance des nouvelles commandes, de la production et de l’emploi y est relativement lente dans un contexte de demande internationale plutôt modeste?

 

De plus, bien que ce ne soit pas notre scénario de base, il y a tout de même un risque que la conjoncture se renverse abruptement d’ici novembre sous le poids des hausses passées de taux d’intérêt, d’un tarissement de l’épargne accumulée des ménages et d’une confiance chancelante. Cela minerait davantage les chances de réélection du président Biden.

 

Somme toute, les questions économiques devraient donc faire encore partie de l’actualité politique d’ici l’élection présidentielle. Il faut espérer que les deux candidats éclairciront davantage leur propre programme et ses conséquences économiques et budgétaires. Le débat nous a laissés sur notre faim à ce sujet, mais, heureusement, on en sait un peu plus sur leur qualité de golfeurs...

Lire la publication Indicateurs économiques de la semaine du 18 au 22 juillet 2022

Consultez l'étude complète en format PDF.

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