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Jimmy Jean
Vice-président, économiste en chef et stratège
Répit des baisses de taux : il ne faut pas s’attendre à des miracles
Lorsqu’il est question des perspectives économiques au Canada, beaucoup d’espoirs sont actuellement fondés sur le cycle de baisses de taux récemment amorcé. Avec maintenant deux baisses de taux en banque et une Banque du Canada qui signale assez clairement que cela ne fait que commencer, la réaction instinctive est de s’attendre à ce que l’économie canadienne sorte de sa torpeur. Pour autant, un examen du cycle de crédit à la consommation incite à la prudence.
Les conditions de prêt aux ménages se resserrent continuellement depuis plus d’un an. L’enquête de la Banque du Canada auprès des responsables du crédit est sans équivoque : les institutions financières ont resserré leurs conditions pour les prêts non hypothécaires depuis le quatrième trimestre de 2022, et ce resserrement s’est poursuivi sur quatre des cinq derniers trimestres disponibles. Ce phénomène se manifeste non seulement par une augmentation du coût du crédit, mais aussi par des modalités non tarifaires plus strictes. Celles-ci se sont resserrées au cours des six derniers trimestres (graphique 1). Une telle séquence prolongée de resserrement n’avait été observée que pendant la pandémie.
Les raisons sous-jacentes à ce resserrement suggèrent qu’il ne s’inversera probablement pas de sitôt. Les prêteurs constatent une augmentation des difficultés de paiement. Au premier trimestre, selon Equifax, le nombre de consommateurs en retard sur au moins un paiement de crédit a augmenté de 12,2 % par rapport à l’année précédente. Au Québec, cette hausse atteint 15,2 %. De plus, les scores de crédit moyens diminuent, en particulier chez les locataires, eux qui sont aujourd’hui confrontés à d’éprouvantes hausses des loyers. La proportion de détenteurs remboursant intégralement leur solde de carte de crédit a diminué depuis l’an dernier. Le choc de paiement chez les emprunteurs hypothécaires a fait grand bruit, mais on oublie souvent qu’un ménage incapable de rembourser intégralement sa carte de crédit se retrouve soudainement confronté à des frais d’intérêt exorbitants qui augmentent les risques de défaut. En réponse à ces tendances, les prêteurs rehaussent leurs critères pour les nouveaux prêts, cherchant ainsi à gérer le risque global de leur portefeuille de prêts. Ce resserrement est un phénomène bien connu et reflète une synergie entre cycle du crédit et cycle économique.
La situation fondamentale des ménages ne fera que renforcer l’attitude conservatrice des prêteurs. Le marché du travail joue naturellement un rôle central dans les décisions d’octroi de crédit. L’économie canadienne vient de connaître deux mois consécutifs de baisse de l’emploi. Le taux de chômage a augmenté de 1,6 point de pourcentage depuis son creux. D’ailleurs, derrière la stabilisation apparente du taux de chômage en juillet se cache une baisse du taux de participation, qui est révélatrice d’un découragement chez certains chercheurs d’emploi. En effet, la mesure élargie du sous-emploi de Statistique Canada, qui englobe notamment les personnes inactives parce que découragées, révèle une augmentation plus marquée que celle du taux de chômage depuis le début de 2023 (graphique 2). Il reste à voir dans quelle mesure les prêteurs distinguent une hausse du taux de chômage causée par des pertes d’emploi, comme en récession, d’une hausse due à une forte expansion de la population active, comme c’est le cas actuellement. Ces circonstances expliquent pourquoi il n’y a pas un effondrement des revenus à l’heure actuelle. Toutefois, la faible croissance du revenu disponible ajusté pour l’inflation au cours des trois dernières années (0,9 % par an en moyenne) reste préoccupante.
Une bonne partie de l’espoir autour des baisses de taux d’intérêt repose sur une baisse du coût du crédit et l’incitation à dépenser qui devrait en découler. Cependant, l’ajustement des taux d’intérêt au détail n’est pas nécessairement automatique ou instantané Lien externe au site.. Cette hypothèse suppose par ailleurs que l’offre du crédit sera au rendez-vous, une hypothèse plutôt optimiste compte tenu des facteurs précédemment évoqués. Les travaux de la Réserve fédérale de New York montrent qu’un choc sur l’offre de crédit atteint son plein effet sur la croissance au bout de six trimestres (graphique 3).
Cela rappelle à quel point des obstacles subsistent, et qu’il faudra beaucoup de baisses de taux avant de percevoir un effet durable. La pression sur les finances des ménages causée notamment par les hausses du coût du logement entraînera vraisemblablement des difficultés financières chez plusieurs d’entre eux, ainsi qu’une prudence accrue chez les prêteurs. De quelle ampleur? Le marché de l’emploi apportera la réponse. Si la détérioration garde ses caractéristiques récentes (c.-à-d. faiblesse concentrée largement chez les jeunes et les nouveaux arrivants), les conséquences seront limitées et les prêteurs ne restreindront probablement pas le crédit de manière agressive et uniforme. Dans un scénario plus pessimiste où la morosité du marché du travail s’étendrait aux travailleurs du cœur de la population active (25 à 54 ans) et plus susceptibles d’avoir des engagements financiers significatifs, l’effet sur les conditions de crédit serait plus marqué. Ce portrait s’alignerait cependant à un scénario d’atterrissage en douleur, ce qui n’est pas notre hypothèse de base à l’heure actuelle.
Ces risques mettent néanmoins en perspective les neuf baisses de taux que nous anticipons actuellement pour la Banque du Canada d’ici la fin de 20251. Il faut pouvoir reconnaître que ce sentier n’a rien d’agressif. Il s’agit simplement d’un retour dans la zone de la neutralité dans environ un an. Si un resserrement du crédit plus marqué se met en branle, la Banque devra accélérer le processus si elle veut protéger son atterrissage en douceur. C’est là que l’accent particulièrement élevé qu’elle a récemment mis sur l’emploi prend tout son sens.
1 Nos prochaines Prévisions économiques et financières paraîtront le 22 août prochain.
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