- Randall Bartlett
Économiste en chef adjoint
Être ou ne pas être en récession? Est-ce la bonne question?
Ces temps-ci, les membres et clients sont nombreux à nous poser la question suivante : le chaos provoqué par les menaces tarifaires changeantes du président Trump plongera-t-il l’économie canadienne dans une récession? C’est une question raisonnable, mais nous ne sommes pas sûrs que ce soit la bonne.
Premièrement, parce qu’elle exige une réponse binaire : soit un ralentissement économique est une récession, soit il ne l’est pas. Pour que l’on parle de récession, le PIB réel doit se contracter pendant au moins deux trimestres consécutifs. Mais la faiblesse doit aussi être généralisée dans l’économie. C’est pourquoi, par exemple, les membres du Business Cycle Council du CD Howe Institute n’ont pas qualifié de récession la croissance négative du PIB réel au début de 2015. Ils ont soutenu que le choc économique causé par la chute marquée des prix du pétrole était concentré dans un trop petit nombre d’industries pour constituer une récession – aussi importantes que soient ces industries pour l’économie canadienne. Il en va de même pour les trois baisses trimestrielles consécutives du PIB réel au Québec à la fin de 2023, lorsqu’une série de chocs ponctuels combinés à des grèves ont brièvement fait reculer l’activité économique.
Deuxièmement, les causes du ralentissement économique seront probablement les mêmes, que l’économie canadienne connaisse officiellement ou non une récession en 2025. La véritable question qui se pose en est une d’ampleur. Des droits de douane s’appliquent de plus en plus aux importations américaines en provenance du Canada, bien que selon un processus désorganisé et imprévisible. Cette incertitude persistante a soulevé des préoccupations importantes chez les entreprises américaines et est susceptible de les convaincre de se tourner davantage vers des fournisseurs nationaux pour répondre à leurs besoins. Cela pèsera sur les exportations canadiennes. Afin d’éviter l’imposition de droits de douane, certaines entreprises menant des activités dans les deux pays pourraient également déplacer aux États-Unis une partie de leurs dépenses en capital précédemment prévues au Canada, ce qui exacerberait la pression sur l’investissement des entreprises découlant du recul de la demande extérieure. Comme les exportations et les investissements des entreprises devraient connaître une croissance plus faible à l’avenir, l’embauche devrait également ralentir, ce qui nuira aux consommateurs canadiens. Les tarifs de représailles rendront la situation encore plus difficile en augmentant le prix des biens importés des États-Unis et en poussant l’inflation à la hausse. Cela s’ajoute aux facteurs déjà existants qui freinent la progression de la consommation au pays, soit le ralentissement de la croissance de la population et la vague de renouvellements hypothécaires à des taux d’intérêt plus élevés. Dans l’ensemble, le Canada connaîtra probablement un malaise économique généralisé dans un avenir prévisible, qu’une récession soit officiellement déclarée ou non.
Le pays pourrait-il connaître deux trimestres consécutifs de croissance négative du PIB réel en 2025? Il se pourrait bien que oui. Pourra-t-on alors parler de récession? Fort possiblement. Quoi qu’il en soit, l’économie canadienne devrait entrer dans une période de morosité prolongée, au moment où la politique économique américaine freinera le commerce, les investissements, la création d’emplois et la croissance dans notre pays.
Alors, que peut-on faire pour contrebalancer ces effets néfastes émanant du sud de la frontière? Les décideurs doivent s’efforcer sans relâche de réduire les obstacles à la réussite économique du Canada. Réduire le coût des investissements privés et simplifier la réglementation seraient un bon début, tout comme tirer parti des avantages comparatifs du Canada en tant que démocratie occidentale riche en ressources. Cela signifie aussi qu’il faut faire tomber les barrières au commerce intérieur. Nous avons entendu beaucoup de paroles, mais vu peu d’action sur ce front jusqu’à maintenant, sinon quelques communiqués de presse conjoints. Cela doit changer. Les entreprises devront aussi explorer de nouveaux marchés pour leurs produits. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, et on ne peut pas s’attendre à ce qu’elles trouvent de nouveaux clients et fournisseurs en un clin d’œil. Le gouvernement devra offrir du soutien pour les aider dans cet intervalle. Il faudra notamment augmenter les prêts consentis par les sociétés d’État comme Exportation et développement Canada (EDC) et la Banque de développement du Canada. Les mesures fédérales récemment annoncées, comme le Programme d’impact commercial d’EDC de 5 G$, sont un pas dans la bonne direction. Accroître les investissements dans les infrastructures publiques sera également essentiel pour faciliter la reprise du commerce intérieur et international. Toutefois, il serait erroné de penser que le malaise économique imminent appellera le même genre de soutien que celui qui a été déployé pendant la pandémie. Ce repli économique a été brutal et de courte durée. Celui qui nous attend sera probablement moins profond, mais durable, et il entraînera une baisse structurelle de l’activité économique. Les mesures politiques devraient être en phase avec la nature d’un tel choc.
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