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Jimmy Jean
Vice-président, économiste en chef et stratège
Ça commence à ressembler à une récession
Nul besoin que des premiers ministres provinciaux tentent de persuader la Banque du Canada (BdC) de cesser ses hausses de taux. Comme on l’a vu avec les comptes économiques du deuxième trimestre, les données sont suffisamment convaincantes. Non seulement la croissance du PIB a-t-elle été largement en deçà des prévisions de la BdC, mais l’économie a enregistré une contraction de 0,2 %, la deuxième au cours des trois derniers trimestres. Pour ajouter l’insulte à l’injure, la croissance du premier trimestre a été révisée à la baisse, passant de 3,1 % à 2,6 %. Ironiquement, le consensus avait prévu un résultat de 2,5 % préalablement à cette publication. Il s’agit d’un revirement notable lorsqu’on se souvient que l’apparente robustesse des chiffres du premier trimestre avait été un facteur déterminant motivant la décision de la BdC de reprendre les hausses en juin.
La récession a-t-elle donc commencé? C’est bien possible, car l’estimation préliminaire pour le PIB de juillet, qui est tombée à plat, oriente la croissance vers un autre résultat négatif au troisième trimestre. Si seulement le PIB avait été la seule mauvaise nouvelle de la semaine! Les récents résultats des banques canadiennes ont été décevants, et non seulement parce que les banques augmentent leurs provisions pour pertes de crédit, ce qui les empêche de répondre aux attentes de bénéfices des analystes. On constate également que les prêteurs mettent de plus en plus l’accent sur l’optimisation des dépenses. Ce n’est donc pas une coïncidence si, dans le secteur de la finance et de l’assurance, le taux de postes vacants est tombé en dessous de sa moyenne d’avant la pandémie en juin, selon les données de Statistique Canada publiées jeudi. Cette tendance mérite d’être suivie, en particulier en Ontario et dans la région du grand Toronto, où l’industrie financière est la plus présente au Canada.
Mais il y a aussi des signes de faiblesse du marché de l’emploi au-delà de l’industrie financière, un secteur sensible aux taux d’intérêt. Les demandes hebdomadaires d’assurance-emploi pour l’ensemble de l’économie ont bondi de 34 % depuis la mi-juin (graphique). Compte tenu de la forte croissance de la population en âge de travailler, il est raisonnable de penser que l’augmentation de 0,5 point de pourcentage du taux de chômage entre mai et juillet n’était qu’un début. Cela suggère qu’un miracle sur la courbe de Beveridge − un phénomène actuellement observé aux États‑Unis, où les offres d’emploi diminuent sans que le taux de chômage augmente de manière significative − pourrait ne pas se produire au Canada.
Cela amène à la manière plutôt intrigante dont les marchés évaluent actuellement la trajectoire du taux directeur de la BdC par rapport à celle du taux de la Réserve fédérale. Le fait que des taux d’intérêt plus élevés pour plus longtemps soient escomptés de manière plus agressive au Canada qu’aux États‑Unis a été quelque peu négligé dans tous les débats de l’été sur le phénomène higher‑for‑longer. Au moment d’écrire ces lignes, les investisseurs prévoyaient des baisses de taux aux États‑Unis à partir du premier trimestre 2024, alors qu’ils ne s’attendaient pas à un assouplissement de la part de la BdC avant le milieu de l’année 2024.
Il convient de noter que le Canada est fortement exposé aux renouvellements des taux hypothécaires, une question que nous avons analysée en détail et qui est réapparue lors de la récente saison de publication des résultats des banques. Les prêteurs ont signalé une nouvelle augmentation de la part de leur portefeuille de prêts hypothécaires dont la période d’amortissement dépasse 25 ans. Les histoires d’allongement de la durée d’amortissement sont pratiquement inconnues aux États‑Unis, où les prêts hypothécaires à taux variable conçus comme au Canada sont peu courants. Cela signifie que l’effet de la hausse des taux d’intérêt est principalement ressenti par les emprunteurs potentiels aux États‑Unis, qui ont toujours la possibilité d’éviter de contracter un prêt hypothécaire onéreux.
En revanche, au Canada, les répercussions de la hausse des taux s’étendent également aux emprunteurs existants, qui doivent inévitablement faire face à des coûts d’intérêt plus élevés. Dans les faits, un instrument financier autrefois synonyme de promotion de l’épargne forcée est désormais plutôt synonyme de resserrement forcé des dépenses, et ce, en raison de la hausse des taux. C’est pourquoi les consommateurs commencent à plier l’échine, même la consommation réelle de services étant tombée à plat au deuxième trimestre. Pour la BdC, il s’agit simplement de faire preuve de patience, car le nombre d’emprunteurs aux prises avec cette situation ne cesse d’augmenter à tous les mois. À la fin de 2024, les deux tiers des emprunteurs devraient avoir fait face à un renouvellement hypothécaire. Bref, il existe une disparité notable dans la dynamique de l’endettement hypothécaire entre le Canada et les États‑Unis, et les marchés ne semblent pas apprécier cette distinction à sa juste valeur.
Qu’en sera-t-il donc de la décision de mercredi? En supposant que la BdC mette davantage l’accent sur les tendances de l’activité économique et de l’emploi plutôt que de s’appuyer sur des indicateurs retardés – comme l’inflation de référence et la croissance des salaires −, il est difficile de justifier la poursuite des hausses de taux. Cela est particulièrement vrai si l’on considère que le marché a déjà resserré les conditions de manière significative, comme en témoignent le rendement des obligations canadiennes à 5 ans, qui a récemment atteint son plus haut niveau depuis 2007.
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