-
Randall Bartlett
Directeur principal, économie canadienne
Trouver l’équilibre entre les gains démographiques et la croissance économique
L’immigration a toujours été une force pour l’économie canadienne. Le Canada a attiré certains des plus brillants talents pour y travailler et y étudier, tout en évitant les destins démographiques malheureux qui se déroulent actuellement en Europe et au Japon. Le système de points appliqué aux travailleurs qualifiés a généralement bien fonctionné et a fait des émules ailleurs dans le monde. L’immigration économique a connu un succès particulier, alors que d’autres groupes de résidents permanents et non permanents ont régulièrement réussi à combler l’écart de revenus avec leurs homologues nés au Canada. Historiquement, les immigrants ont été plus susceptibles de démarrer et de posséder une entreprise que les personnes nées ici. Ces entreprises ont quant à elles été plus susceptibles d’investir dans de nouvelles technologies, de s’engager dans le commerce international et d’être dirigées par quelqu’un ayant une formation postsecondaire et de l’expérience dans un domaine des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM).
Mais beaucoup de choses ont changé au cours des dernières années. La part des résidents non permanents (RNP) dans la population a plus que doublé, passant d’environ 3,5 % il y a trois ans à 7,3 % au deuxième trimestre de 2024. Il n’est pas difficile de comprendre comment le Canada s’est engagé sur cette voie. À la mi‑2022, le taux de postes vacants avait atteint son plus haut niveau jamais enregistré alors que le taux de chômage touchait un creux inédit. Les entreprises cherchaient désespérément des travailleurs, pendant que les Canadiens et les Canadiennes étaient impatients de sortir de chez eux pour socialiser et dépenser l’épargne qu’ils avaient accumulée durant les confinements. Les secteurs les plus fortement affectés par la pandémie – et ayant observé le plus grand nombre de postes vacants dans la foulée de celle-ci – sont ceux qui avaient le plus à gagner de cette demande grandissante. Les établissements d’enseignement postsecondaire (EEPS), eux aussi durement touchés par la pandémie en raison de la baisse des inscriptions, souhaitaient à tout prix ouvrir leurs portes aux étudiants internationaux pour encaisser les frais de scolarité plus élevés qui les aideraient à combler leurs manques à gagner.
En réponse à cette situation, le gouvernement fédéral a éliminé bon nombre de contraintes liées à l’admission des RNP au Canada. Les groupes d’affaires et les EEPS ont salué ces accommodements et, avec l’augmentation rapide du nombre de travailleurs temporaires et d’étudiants étrangers qui a suivi, il est évident qu’ils ne sont pas restés les bras croisés. Le taux de postes vacants est redescendu de son sommet historique et le taux de chômage a freiné son déclin avant de remonter graduellement.
Tout porte à croire que le gouvernement fédéral n’avait que de bonnes intentions lorsqu’il a élaboré sa politique d’immigration actuelle. Cependant, comme bon nombre d’entreprises et d’EEPS agissent d’abord dans leur propre intérêt et que certains mauvais joueurs ont profité du système, les admissions de RNP ont bondi au point de devenir insoutenables. Les loyers sont montés en flèche partout au pays, particulièrement dans les provinces où ils ne font l’objet d’aucun contrôle, et les prix des propriétés existantes sont demeurés élevés malgré la hausse des taux d’intérêt. Même si l’accélération rapide de la croissance de la main-d’œuvre a contribué à maintenir les pressions salariales et l’inflation à des niveaux plus faibles qu’ils ne l’auraient été autrement, c’est une mince consolation pour les ménages canadiens qui doivent assumer des coûts plus élevés pour nourrir leur famille et avoir un toit au-dessus de leur tête.
Alors, quels éléments les décideurs doivent-ils prendre en compte dans leur tentative de ramener les admissions de nouveaux arrivants à un niveau plus durable? Nos recherches Lien externe au site. ont démontré que les changements prévus à la politique d’immigration impliquent des compromis. Si le gouvernement fédéral atteint la cible qu’il s’est fixée de ramener le nombre de RNP à 5 % de la population canadienne d’ici trois ans, il y a un risque que l’économie canadienne bascule en récession et que la croissance des revenus gouvernementaux ralentisse considérablement. En effet, le nombre de RNP devrait diminuer de près d’un million de personnes, ce qui ferait que la croissance démographique canadienne reviendrait aux creux pandémiques (graphique). Cela s’accompagnerait toutefois d’un ralentissement bénéfique de la croissance des coûts du logement et de l’inflation globale, d’une progression des gains salariaux réels, d’une croissance de la productivité et d’une augmentation du PIB réel par habitant. Trouver l’équilibre entre ces avantages et les coûts potentiels associés à une réduction de l’élan économique sera un exercice délicat.
Ce qui nous préoccupe le plus, c’est le fait que les changements à la politique d’immigration au Canada semblent en réaction à une situation – d’abord, on ouvre à fond les vannes, et maintenant, on envisage de les refermer brusquement. Les décisions entourant l’immigration doivent être plus réfléchies, non seulement pour répondre aux besoins à court terme du marché de l’emploi, mais aussi pour orienter ce dernier en fonction de ce dont le pays aura besoin à long terme. Ces exigences ne vont pas nécessairement main dans la main. À long terme, le système d’immigration actuel, qui privilégie une approche par points pour déterminer qui peut entrer au pays, a beaucoup de mérite, à condition qu’il soit régulièrement évalué et amélioré. En même temps, un programme pour les travailleurs étrangers temporaires devrait être disponible pour répondre rapidement aux besoins criants du marché du travail en fonction de chaque industrie. Mais un tel programme ne devrait pas nuire à l’embauche locale ni décourager les entreprises d’investir pour accroître leur productivité. C’est un équilibre certes difficile à atteindre, mais le gouvernement fédéral doit apprendre à mieux y parvenir.
Contactez nos économistes
Par téléphone
Montréal et environs :
514 281-2336 Ce lien lancera votre logiciel de téléphonie par défaut.