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Randall Bartlett
Directeur principal, économie canadienne
La forte croissance de la population cache la morosité de l’économie canadienne
Comme on pouvait s’y attendre cette semaine, la Banque du Canada (BdC) a laissé le taux des fonds à un jour inchangé. Pour plusieurs des raisons abordées dans notre Commentaire hebdomadaire Lien externe au site. S'ouvre dans une nouvelle fenêtre. de vendredi dernier, son communiqué de presse indique clairement qu’elle estime en avoir suffisamment fait pour l’instant. Pour le moment, nous nous attendons à ce que la BdC se tienne à l’écart et surveille l’effet des hausses de taux passées qui continuent de se transmettre au sein de l’économie. En effet, selon nous, le prochain mouvement de taux sera une réduction et surviendra au premier semestre de 2024.
Mais si le communiqué de la BdC s’est surtout attardé aux indicateurs économiques globaux, à savoir le PIB réel, l’emploi et l’inflation mesurée par l’IPC, les chiffres par habitant, lorsqu’ils sont disponibles, brossent un portrait encore plus sombre de l’économie canadienne. Tout d’abord, même si les mouvements en dents de scie du PIB réel au cours de la dernière année ont donné lieu à des contractions modestes suivies d’accélérations marquées, le PIB réel par habitant a pour sa part diminué au cours de chacun des quatre derniers trimestres (graphique 1). C’est encore pire pour ce qui est de la variation de la demande intérieure par habitant. Sans surprise, une bonne part de la faiblesse peut être attribuée à un recul soutenu des investissements résidentiels très sensibles aux conditions de crédit. Cependant, la contraction des chiffres par habitant est constante dans d’autres secteurs, comme la consommation de biens non durables (par exemple, l’essence et l’alimentation) et les investissements en machinerie et outillage. En revanche, la croissance des dépenses en biens de consommation durables par habitant a largement échappé à cette tendance, en grande partie, grâce au bond des ventes d’automobiles, qui ont été retardées par la pandémie.
Rien de tout cela n’est un hasard. La croissance démographique, la plus forte depuis les années 1950, a donné un élan à l’activité économique depuis la mi‑2022. Cette vigueur est entièrement attribuable aux nouveaux arrivants au Canada. Et comme les nouveaux arrivants doivent s’acheter des voitures, meubler leur résidence et se procurer d’autres biens, les dépenses des ménages ont augmenté d’une façon que les économistes n’anticipaient pas il y a un an, faisant fi des effets restrictifs des taux d’intérêt plus élevés.
Fait important, ce nombre sans précédent de nouveaux arrivants se compose principalement de résidents non permanents, tels que des travailleurs temporaires et des étudiants. Comme plusieurs de ces personnes sont venues répondre à des besoins particuliers sur le marché du travail, elles ont pu rapidement trouver un emploi et toucher un revenu. Par conséquent, le taux de chômage au Canada a à peine bougé de ses creux historiques, même si le taux de postes vacants a graduellement diminué par rapport aux sommets records atteints l’an dernier (graphique 2). Cette situation a favorisé une croissance importante du revenu disponible et un taux d’épargne supérieur à la moyenne prépandémique malgré l’érosion du pouvoir d’achat des ménages par les prix et les taux d’intérêt élevés.
Le manque d’investissement des entreprises au Canada est plus alarmant. L’investissement dans les ouvrages non résidentiels a été porté par les prix élevés des matières premières, mais les dépenses en immobilisations relatives à la machinerie et à l’outillage ont été très faibles. Au lieu d’investir dans des technologies qui améliorent la productivité, les entreprises semblent se tourner vers les travailleurs étrangers pour s’attaquer à la pénurie de main-d’œuvre. Les heures travaillées au Canada ont ainsi augmenté, mais la productivité a, quant à elle, constamment diminué pendant la reprise postpandémique. En effet, les données du T2 2023 publiées plus tôt cette semaine ont démontré que la productivité des entreprises canadiennes est à son niveau le plus faible depuis 2016 (graphique 3). Et la situation ne risque pas de s’améliorer de sitôt. Par exemple, la dernière Enquête sur les perspectives des entreprises de la BdC a montré que les intentions d’investissement étaient à leur plus faible depuis 2020 chez les entreprises n’étant pas liées aux ressources naturelles.
Cette productivité moribonde n’est pas nouvelle. Comme mentionné dans nos récentes recherches Lien externe au site. S'ouvre dans une nouvelle fenêtre., la croissance anémique de la productivité est la cause principale de la morosité du PIB réel par habitant du Canada depuis 2014. L’absence de dépenses en immobilisations dans l’extraction minière, pétrolière et gazière en raison de la faiblesse des prix des matières premières et un environnement d’investissement incertain à long terme en sont largement responsables. Cependant, même si ce secteur est devenu plus productif pour préserver sa rentabilité, le reste de l’économie canadienne a vu sa productivité diminuer.
Pour l’avenir, la détérioration de la confiance des entreprises permet de croire que les investissements non résidentiels ne sont pas près d’augmenter. La confiance des consommateurs, elle aussi à la baisse, semble indiquer que la consommation des ménages connaîtra le même sort. Étant donné qu’une récession pourrait commencer n’importe quand, on s’attend à ce que le PIB réel et la demande intérieure par habitant ralentissent davantage, surtout si les gains de population restent aussi élevés. Même si le déclin de la demande de main-d’œuvre, attribuable au recul des ventes, devrait entraîner un ralentissement des admissions nettes de résidents non permanents, cela ne suffira probablement pas à soulager la morosité du PIB réel par habitant au Canada, bien installée depuis longtemps. Il faudrait pour cela accélérer la productivité au Canada, qui fait cruellement défaut depuis un certain temps déjà et qui ne semble pas sur le point de s’améliorer.
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