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Jimmy Jean
Vice-président, économiste en chef et stratège
Des réalités transitoires à réapprivoiser
C’est bien connu : au Canada, le logement fait jaser. Et le gouverneur de la Banque du Canada (BdC), Tiff Macklem, avait son mot à dire sur le sujet récemment. Selon lui, il ne faudrait pas compter sur la politique monétaire pour améliorer l’abordabilité du logement, dans un contexte où le secteur de la construction domiciliaire est aux prises avec des contraintes structurelles. Il est vrai que l’amélioration de l’offre de logements passe par une approche multidimensionnelle. Cependant, la politique monétaire a bel et bien un effet sur l’offre. Au Québec, par exemple, l’industrie de la construction résidentielle est plus concentrée qu’ailleurs dans les logements locatifs. Or, le calcul du rendement interne est beaucoup plus déterminant dans la décision de construire ou non des logements locatifs que dans celle de construire ou non des copropriétés (qui dépend surtout des préventes). Cela explique en partie la baisse importante de 32 % des mises en chantier au Québec en 2023, un résultat qui contraste avec ceux, plus vigoureux, de villes comme Vancouver et Toronto. Même si des innovations sectorielles et d’autres politiques doivent incontestablement être priorisées pour accroître l’offre de logements, le rôle des conditions de financement restrictives ne doit pas être sous-estimé.
Si le gouverneur de la BdC a abordé la question du logement, c’est aussi parce que la persistance de l’inflation au Canada se résume, dans une large mesure, à l’incidence de la composante logement. Si l’on exclut cette dernière, l’inflation s’est établie à un rythme plutôt raisonnable de 2,4 % sur un an en décembre dernier. Pour la BdC, il s’agit surtout de déterminer si le repli actuel sera suffisant pour que les composantes de l’inflation sensibles au cycle économique se refroidissent au point de ramener l’inflation globale à 2 % dans un délai raisonnable.
Nous n’avons pas de raison valable de mettre en doute l’efficacité de la politique monétaire canadienne. N’eût été une croissance démographique historiquement forte, le Canada serait entré en récession l’an dernier. Alors que les capacités excédentaires augmentent dans l’économie, des baisses de taux s’imposeront dans un avenir rapproché. Mais il est vrai que la BdC devra apprendre à vivre avec un certain nombre d’impondérables lorsqu’elle entamera ce processus.
Les ventes et les prix des propriétés risquent-ils de rebondir? Probablement, oui. Les données pour Montréal, Toronto et Vancouver indiquent que les acheteurs qui avaient décidé de patienter ont recommencé à se manifester en début d’année. Il existe cependant une différence entre un rebond transitoire fondé sur une demande refoulée et une reprise vigoureuse et durable du marché de l’habitation.
Ce n’est pas seulement le piètre état de l’abordabilité qui rebute de nombreux acheteurs aujourd’hui. Le paysage économique a également beaucoup évolué depuis un an. La reprise du marché de l’habitation que l’on a vue au début de 2023 s’est produite alors que le taux de chômage était de 4,9 % au Canada et que les cas d’insolvabilité de consommateurs étaient encore faibles. Mais cette insolvabilité a bondi de 23 % au cours de l’année dernière. Le taux de chômage est monté à 5,7 %, et nous croyons qu’il n’a pas encore atteint son sommet. De plus, les institutions financières ont resserré leurs conditions d’octroi de crédit, et les ménages hésitent maintenant à engager des dépenses importantes.
Si la demande refoulée se révèle plus forte que prévu, les prix et l’abordabilité s’ajusteront naturellement pour équilibrer le marché selon l’offre disponible. L’inabordabililté est telle en ce moment qu’il serait logique pour la BdC d’adopter davantage une approche de laisser-faire en permettant aux dynamiques de marché de réguler l’activité immobilière résidentielle.
Les banquiers centraux devront également faire la paix avec les chocs d’offre. Avant la pandémie, ceux-ci étaient monnaie courante, et les dirigeants n’en faisaient pas nécessairement de l’insomnie pour autant. Il est donc encourageant de voir le gouverneur Macklem prêt à reconnaître la nature transitoire de certains facteurs. Dans une étude qui sera publiée la semaine prochaine, nous abordons certaines conséquences sur l’inflation des perturbations touchant le transport de marchandises en mer Rouge, dans l’éventualité où l’augmentation des prix qui en découle s’avérerait persistante. Mais le plus probable, c’est que ces effets se révèlent, justement, transitoires. Une bonne pratique pour les banques centrales consiste à ne pas tenir compte des chocs de prix relatifs comme ceux-là.
Prenons les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement causées par la pandémie et la réponse agressive de la politique monétaire face à l’inflation. Ce ne sont pas tant les difficultés liées à l’approvisionnement qui ont motivé cette réponse; la situation avait correctement été évaluée comme étant temporaire. C’est plutôt une combinaison de facteurs – politiques fiscales stimulant la demande, chocs de l’offre causés par les restrictions sanitaires, et guerre en Ukraine ayant agi comme catalyseur – qui, collectivement, ont forcé les banques centrales à réagir énergiquement. Les parallèles entre les perturbations actuelles de la chaîne d’approvisionnement et celles que l’on a connues pendant la pandémie sont donc assez limités. Il s’agit vraisemblablement d’un choc transitoire, et les banquiers centraux auraient raison de le prétendre. Espérons qu’ils le feront. Parce qu’en réalité, s’ils attendent des certitudes – que ce soit quant aux chocs d’offre, aux fluctuations du marché de l’habitation, aux salaires, aux mesures de l’inflation à court terme ou aux dépenses gouvernementales –, ils trouveront toujours une bonne raison de retarder les baisses de taux.
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