- Royce Mendes
Directeur général et chef de la stratégie macroéconomique
Les prévisions en période de grande incertitude
Les données peuvent être manipulées pour prouver n’importe quelle théorie. Pour analyser le monde et prévoir son évolution, il est essentiel de faire la distinction entre les mensonges purs et simples, les biais de faible induction et les relations causales solides. Mais dans des moments comme ceux que nous vivons, où l’économie mondiale est en train de se transformer, cette tâche paraît presque impossible.
Comme le statisticien Nassim Taleb l’a écrit dans son livre Le Cygne noir, le degré de précision requis dans les hypothèses pour faire de bonnes prédictions croît considérablement avec une augmentation même modeste de la complexité d’une situation donnée. Il est évident que le monde est beaucoup plus complexe qu’il ne l’était il y a un an. En fin de compte, les prévisions concernant l’économie et les marchés financiers dans le contexte actuel sont, au mieux, des biais de faible induction. Autrement dit, il s’agit en grande partie d’hypothèses basées sur des informations limitées.
Les simulations de notre équipe sur les conséquences économiques d’une guerre commerciale sont parmi les meilleures. Des mois après la publication initiale de nos résultats, la Banque du Canada a publié des conclusions qui correspondaient presque exactement aux nôtres. Mais c’est difficile de s’en réjouir en ce moment.
Par définition, les modèles sont des versions simplifiées du monde réel, qui sont surtout utiles pour analyser de légères perturbations dans les tendances à long terme. Les relations statistiques qui constituent la base de ces modèles s’effritent lorsque des chocs importants se produisent. On peut penser à la pandémie ou à la crise financière mondiale. Lors de ces événements, certains des modèles les plus sophistiqués ont donné des résultats embarrassants, et rares sont ceux (s’il y en a) qui avaient prédit la poussée de l’inflation en 2022 ou l’écroulement de l’économie en 2008‑2009.
La volonté de Donald Trump de restructurer le système commercial mondial pose un problème supplémentaire aux prévisionnistes. Il s’agit d’un changement structurel non seulement majeur, mais aussi largement sans précédent, qui laisse aux prévisionnistes peu de données historiques sur lesquelles s’appuyer. La possibilité que la restructuration du commerce entraîne une période de bouleversements géopolitiques mondiaux ne fera qu’amplifier la complexité de la situation et renforcer la nature sans précédent des circonstances actuelles. Enfin, tout cela est sans compter l’incapacité des modèles à intégrer le penchant de Trump pour les changements de cap soudains.
L’objectif ici n’est pas de critiquer durement les modèles, qui ont de nombreux avantages lorsqu’ils sont correctement utilisés. Il s’agit plutôt d’une invitation à prendre toutes les prévisions – même celles qui proviennent de sources fiables – avec la prudence qui s’impose. Mieux vaut concéder que l’avenir nous est inconnu que de faire fausse route en raison d’une confiance excessive dans des méthodes peu adaptées à la situation actuelle.
Cela dit, comme les banques centrales tiennent rarement compte de cette mise en garde, nos modèles peuvent aider à prévoir leur fonction de réaction. Dans la mesure où tant notre modèle que celui de la Banque du Canada laissent entrevoir une récession au Canada dans un avenir proche et une hausse seulement modeste et ponctuelle de l’inflation, les banquiers centraux devront réduire à nouveau le taux directeur de 25 points de base, malgré la vigueur étonnante des données économiques canadiennes.
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