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Jimmy Jean
Vice-président, économiste en chef et stratège
Bienvenue au Canada, où ignorer les effets décalés du resserrement monétaire peut être dangereux
Plus tôt ce mois-ci, lors d’une conférence du Fonds monétaire international soulignant la contribution de Ken Rogoff à l’analyse de l’économie internationale, celui-ci a fait valoir qu’il faudrait revenir aux années 1970 pour trouver une période aussi « incroyablement difficile » que celle que nous vivons en ce moment. Et ce serait « incroyablement difficile » de prétendre le contraire.
Au Canada, les prévisionnistes comme nous ont dû composer cette année avec une foule d’événements exceptionnels, de la grève des fonctionnaires fédéraux à celle des employés du port de Vancouver en passant par les tempêtes de verglas et les feux de forêt. Alors que la fin d’année s’annonçait plus calme, le Front commun, représentant un total de 420 000 travailleurs des secteurs de la santé, des services sociaux et de l’éducation au Québec, a déclenché une grève au début de cette semaine. Il a ensuite été rejoint par le personnel enseignant et infirmier, ce qui a porté à près de 600 000 le nombre d’employés en conflit de travail.
En l’absence d’entente, le Front commun pourrait déclencher une grève générale illimitée. Si ce groupe, qui représente quand même 9 % de la main-d’œuvre du Québec, mettait sa menace à exécution, cela entraînerait une baisse importante des heures travaillées et du PIB. En effet, en plus des travailleurs en grève, de nombreux parents, surtout des mères (comme durant la pandémie), pourraient devoir s’absenter du travail pour s’occuper de leurs enfants. L’ampleur des enjeux joue en faveur d’une résolution rapide. Mais dans le cas contraire, ce conflit de travail s’ajoutera à la longue liste des perturbations ayant marqué 2023 et à ce contexte auquel il est parfois « incroyablement difficile » de donner un sens.
Le gouverneur de la Banque du Canada (BdC), Tiff Macklem, a quant à lui suscité un certain espoir cette semaine en évoquant la possibilité que le cycle de hausses du taux directeur soit terminé. Un signal aussi clair à cet effet n’avait pas été entendu depuis longtemps. Sa déclaration faisait suite à des données encourageantes sur l’inflation en octobre (sauf peut-être pour les personnes cherchant un logement à louer), mais aussi à une mise à jour économique fédérale montrant des déficits plus importants que prévu Lien externe au site. S'ouvre dans une nouvelle fenêtre. en raison des annonces récentes en matière de subventions industrielles et de construction résidentielle.
La question clé était de savoir dans quelle mesure le profil des dépenses gouvernementales serait différent de ce que la BdC avait présumé il y a moins d’un mois dans son Rapport sur la politique monétaire. Nous en concluons que cet écart n’est pas suffisamment marqué aux yeux de Tiff Macklem pour l’empêcher d’adopter un ton plus conciliant. En effet, le bond de 17 % des emprunts du gouvernement au cours du présent exercice, combiné au fait que la BdC continue de réduire de plus en plus son bilan, contribuera probablement à garder les taux obligataires au-dessus d’un certain seuil, et donc de maintenir des conditions financières serrées.
Les choses peuvent changer drôlement en seulement six semaines! Au début d’octobre, les marchés estimaient que la première baisse de taux surviendrait au plus tôt en 2025, ce qui, selon nous, était une interprétation erronée de la trajectoire probable des taux de la BdC. La persistance de l’inflation, de même que la tendance à sous-estimer les décalages longs et variables dans les effets de la politique monétaire, a fait en sorte que certaines personnes ont adopté cette idée de taux plus élevés plus longtemps au Canada. Maintenant que la demande excédentaire a disparu, que la croissance est stagnante, que le marché du travail s’assouplit et que l’inflation continue de reculer Lien externe au site. S'ouvre dans une nouvelle fenêtre., le manque de vision de cette perspective devient encore plus apparent.
Nous avons insisté sur le fait que la BdC a entrepris l’un des cycles de resserrement monétaire les plus vigoureux, avec comme contexte de départ l’endettement record des ménages et, effectivement, des ménages parmi les plus endettés au sein des pays développés (graphique). Jusqu’à maintenant, on en voit clairement les conséquences sur les dépenses de consommation et l’activité immobilière.
Mais à partir de 2024, il faudra surveiller les possibles effets d’entraînement sur le patrimoine. Les inscriptions de propriétés à vendre au Canada augmentent peu à peu, et un marché comme celui du grand Toronto devient de plus en plus favorable aux acheteurs. Vancouver le suit de près. Cela met en évidence le risque d’une nouvelle baisse de prix des propriétés. Les dépenses de consommation, surtout par habitant, subissent déjà un ralentissement, mais imaginez ce qui pourrait arriver si l’on devait aussi composer avec un effet de richesse négatif découlant d’une baisse des prix de l’immobilier (la propriété représentant environ la moitié du patrimoine des ménages canadiens de la classe moyenne). Nos conditions pour une baisse de taux seraient réunies rapidement. Et un atterrissage en douceur deviendrait aussi probable que le retour des Nordiques de Québec.
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