Mise à jour et prévisions de mi-année avec Jimmy Jean, économiste en chef du Mouvement Desjardins
En janvier, le pire de la pandémie semblait derrière nous. Les principales banques centrales et les économistes du monde entier ajoutaient une pincée d’optimisme à leurs prévisions. On anticipait une inflation plus élevée qu’à l’habitude, mais des économistes, dont l’économiste en chef de Desjardins, Jimmy Jean, s’attendaient à ce qu’elle commence à diminuer d’ici le milieu de l’année.
La première moitié de 2022 a plutôt donné lieu à une série de rebondissements entraînant l’inflation la plus élevée en 40 ans et des hausses de taux d’intérêt plus importantes que prévu.
« Nous avons eu une série de surprises en matière d’inflation », affirme M. Jean lors d’une conversation sur ce qui s’est passé jusqu’à maintenant en 2022 et sur ce à quoi on peut s’attendre pour le reste de l’année. Il a parlé de ce qui a déclenché une inflation aussi élevée, à savoir l’invasion de l’Ukraine, les problèmes qui persistent dans les chaînes d’approvisionnement et la réouverture de l’économie. Il a également expliqué pourquoi la Banque du Canada (BdC) devrait relever les taux d’intérêt de façon vigoureuse jusqu’à l’automne, comment cela se répercutera sur le marché de l’habitation et pourquoi les probabilités d’une récession généralisée cette année sont faibles.
Les chocs se succèdent
Au début de l’année, la plupart des économistes croyaient que la hausse de l’inflation serait temporaire, affirme M. Jean. On s’attendait à un retour à la normale pour les chaînes d’approvisionnement à mesure que les effets de la pandémie sur la production mondiale s’atténuaient.
Puis, en février, la Russie a envahi l’Ukraine. Ce fut le premier d’une série de bouleversements qui ont entraîné une inflation persistante.
« Nous subissons un choc après l’autre, comme la politique zéro COVID de la Chine et la guerre en Ukraine, indique-t-il. Ça explique en partie pourquoi la transition anticipée ne s’est pas produite. »
La guerre en cours continue de perturber les chaînes d’approvisionnement et d’exercer une pression sur les prix du pétrole. La capacité de production d’énergie a été encore plus limitée et les producteurs de l’OPEP+ ont eu du mal à atteindre leurs objectifs. Ainsi, le Mouvement Desjardins s’attend à ce que les prix du pétrole finissent l’année au-dessus de la barre des 100 $ le baril, une estimation plus élevée que les précédentes, qui prévoyaient des prix autour de 95 $. Entretemps, les problèmes de chaîne d’approvisionnement liés à la COVID persistent, ce qui maintient le prix de certains biens et intrants de production à un niveau élevé.
Une inflation vertigineuse qui n’est pas près de disparaître
En mai, l’inflation a grimpé à 7,7 % au Canada et à 8,6 % aux États-Unis, la hausse des prix à la consommation étant largement attribuable à celle des prix de l’essence.
Selon le Mouvement Desjardins, l’inflation devrait atteindre son sommet au cours de la deuxième moitié de l’année. Mais le soulagement est léger, car l’institution prévoit que l’inflation finira l’année à 6,3 % en raison de la hausse des prix du pétrole, de la vigueur du marché de l’emploi et de l’augmentation fulgurante des loyers.
D’autres hausses de taux d’intérêt importantes à l’horizon
Avec le recul, les banques centrales n’ont pas relevé les taux d’intérêt assez rapidement pour combattre l’inflation.
« Maintenant, elles doivent réagir avec plus de force », explique M. Jean.
À la mi-juin, la Réserve fédérale américaine a surpris les marchés en haussant de 75 points de base le taux des fonds fédéraux pour les établir entre 1,5 % et 1,75 %. À la mi-juillet, la BdC devrait également annoncer une hausse de 75 points de base, ce qu’elle aurait dû faire le 1ᵉʳ juin selon M. Jean. Il prédit toujours qu’elle terminera 2022 avec un taux des fonds à un jour de 2,5 %.
« Elle va devoir être plus prudente, parce que l’économie du Canada est très sensible aux taux, affirme-t-il. Elle ne doit pas la pousser dans le négatif. »
Il ajoute que plus du quart de l’économie canadienne est lié au logement et aux taux d’intérêt. Lorsque les taux ont augmenté au Canada en 2017 et en 2018, la croissance et l’inflation ont considérablement ralenti, les dépenses ayant diminué dans les secteurs de la construction résidentielle, des transactions immobilières et des rénovations.
« Ces hausses de taux d’intérêt font réellement mal », dit-il.
Les Canadiens et les Canadiennes comptent parmi les plus endettés du monde. Cela signifie que la hausse des taux d’intérêt sera particulièrement pénible pour le consommateur canadien moyen, qui dépensera davantage pour rembourser ses prêts. Les ménages à faible revenu en particulier subissent les contrecoups de la hausse des prix de l’essence, de l’épicerie, du loyer et des services publics.
Un début de ralentissement pour le marché du logement
À l’heure actuelle, moins de gens ont les moyens d’acheter une maison, et les employés retournent au centre-ville pour travailler au bureau selon des modes de travail hybride. Par conséquent, les ventes et les prix des maisons au Canada ont chuté pendant trois mois d’affilée ce printemps, et le marché de la location est en hausse.
« Nous avons la conviction que ce n’est qu’un début », confie M. Jean, qui pense que le marché immobilier touchera le fond à la fin 2023.
En ce moment, l’abordabilité n’a jamais été aussi faible. Le prix des maisons a monté en flèche pendant des années alors que les taux d’intérêt étaient à des creux historiques. L’abordabilité est maintenant encore plus restreinte, car la hausse de taux d’intérêt se traduit par des paiements plus élevés sur les nouveaux prêts hypothécaires.
« Il n’a jamais été aussi coûteux pour une personne qui gagne un revenu moyen d’accéder au marché de l’habitation, selon l’économiste. Les prix devront vraiment s’ajuster pour rétablir une certaine abordabilité. »
C’est dommage pour les gens qui ont acheté lorsque le marché était à son sommet, mais il avance que ce pourrait être une bonne nouvelle pour les acheteurs d’une première maison, qui représentent près de la moitié des transactions annuelles. Au cours des dernières années, les acheteurs qui cherchaient désespérément à entrer sur le marché ont renoncé à faire inspecter la propriété convoitée, ont participé à la surenchère, ont acheté des maisons sans les avoir visitées et ont étiré leur budget au maximum.
« Ce sera bon de voir ces comportements et ce genre d’attitude s’atténuer, parce qu’il y avait vraiment des excès. »
Desjardins prévoit une baisse des prix de 15 %. Fin 2023, ceux-ci devraient encore être environ 30 % plus élevés qu’ils ne l’étaient fin 2019, mais la frénésie immobilière pandémique se sera probablement calmée. Cependant, l’amélioration de l’abordabilité sera limitée par la faible offre de logements, prévient M. Jean, puisque le Canada connaît la croissance démographique la plus rapide du G7.
Des marchés boursiers volatils
Le marché boursier a été encore plus volatil que prévu cette année, en raison de la hausse rapide des taux d’intérêt et du fait que les investisseurs s’attendent à ce qu’ils augmentent encore davantage.
Ce repli plus marqué est le résultat du virage marqué de la politique monétaire, soutient M. Jean. Mais ce n’est pas nécessairement négatif pour le Canada. Le pays est dans une assez bonne situation en raison de son exposition aux produits de base, particulièrement à l’énergie, car l’évolution du contexte géopolitique favorise les exportations canadiennes de gaz naturel liquéfié et de pétrole.
Le marché baissier a été dur pour les titres technologiques, mais l’économiste croit qu’on peut trouver beaucoup d’éléments positifs si l’on adopte une perspective à moyen terme. Il pourrait y avoir des investissements dans les mégadonnées et l’intelligence artificielle pour aider à régler les problèmes de chaîne d’approvisionnement. « Nous avons observé des baisses généralisées, mais lorsque la poussière retombera, les investisseurs découvriront des sociétés technologiques en bonne posture qui se négocient au rabais », souligne-t-il.
Les risques de récession encore faibles en 2022
Malgré les défis à venir, Jimmy Jean estime que les probabilités d’une récession demeurent relativement faibles cette année.
« Nous avons un marché du travail solide. Cela nous aide énormément. En fait, c’est la clé pour tout », dit-il.
Les salaires augmentent, surtout pour les emplois qui se situent généralement au bas de l’échelle salariale. Le taux de chômage au Canada, qui est de 5,1 %, n’a jamais été aussi bas, et les employeurs disent avoir du mal à trouver des travailleurs. De ce fait, plus de gens obtiennent des hausses de salaire parce que les employeurs essaient de les retenir.
« Il serait vraiment surprenant de voir cette tendance s’inverser du jour au lendemain », selon l’économiste.
Cela dit, il s’attend à ce que les dépenses ralentissent une fois que la « lune de miel de la réouverture » sera terminée et que les gens cesseront de se payer autant de repas au restaurant et de voyages. Cela pourrait causer des fermetures d’entreprises ou des mises à pied vers la fin de l’année. Ces facteurs, conjugués à la hausse des taux d’intérêt qui nuit au secteur de l’habitation, pourraient entraîner un ralentissement important de la croissance économique en 2023.
Si cela devait se traduire en véritable contraction, M. Jean prédit que le gouvernement sera enclin à recourir à certaines tactiques utilisées pendant la pandémie, comme les subventions salariales, pour tenter d’atténuer le choc. Le Canada est toujours dans une position financière relativement bonne malgré ses dépenses sans précédent pendant la pandémie, ce qui donne au gouvernement fédéral une certaine souplesse pour mettre en œuvre des programmes visant à accélérer la reprise.
« Si les gouvernements prennent des mesures pour limiter cette baisse de revenu, la récession sera beaucoup moins brutale. »
À long terme, une croissance plus rapide de la productivité sera la solution à de nombreux problèmes économiques actuels, selon lui. Mais pour cela, la croissance de l’investissement des entreprises devra être plus forte qu’elle ne l’est actuellement.