Le contexte du marché de l’habitation était le même depuis des années au Canada. Les prix augmentaient sans cesse, et même lorsqu’on se demandait si le sommet était atteint, leur ascension se poursuivait. Puis, la pandémie est arrivée. La montée en flèche de la valeur des biens immobiliers s’est propagée des grands centres jusqu’aux petites villes, puisque les citadins étaient à la recherche de plus d’espace pour leurs résidences principales ou secondaires.
Toutefois, le marché de l’habitation a finalement atteint un point d’inflexion, selon Randal Bartlett, économiste de Desjardins et directeur principal, économie canadienne, qui présente ses réflexions sur l’impact de la hausse des taux d’intérêt pour le marché de l’habitation et la façon d’améliorer l’abordabilité du logement.
Pourquoi la hausse des taux d’intérêt transforme-t-elle le contexte du marché de l’habitation?
Deux mois à peine après le début des hausses de taux d’intérêt par la Banque du Canada, , l’activité du marché de l’habitation ralentit et les prix stagnent, puisque les coûts d’emprunt sont désormais plus élevés après avoir été maintenus durant des années à des niveaux bas.
« La hausse des taux d’intérêt commence vraiment à se faire sentir », déclare M. Bartlett.
Les prix des maisons diminueront, phénomène que l’on observe déjà la région du Grand Toronto, mais M. Bartlett ne croit pas qu’ils s’effondreront. Ils pourraient même demeurer à un niveau supérieur à celui observé avant la COVID, moment où l’immobilier a vraiment pris son envol.
« Je ne pense pas que les Canadiens perdront leur chemise dans le marché de l’habitation », déclare-t-il. « Nous prévoyons une correction, mais aucun effondrement de l’activité. »
Une baisse des prix permettrait aux premiers acheteurs d’entrer sur le marché, mais il s’agit d’une arme à double tranchant, puisque les taux plus élevés rendront plus difficile l’admissibilité à un prêt hypothécaire, explique M. Bartlett. Ce dernier prêtera une attention particulière à l’évolution des prix dans les villes plus petites, où les valeurs ont grimpé à des niveaux ne correspondant pas aux économies locales.
Quel effet les investisseurs immobiliers ont-ils eu sur l’abordabilité?
Il n’y a pas que dans les petites villes que les prix ne reflètent pas toujours les variables fondamentales, comme la croissance de la population, le revenu et l’offre de propriétés. Cela s’explique en partie par le nombre plus important d’investisseurs et de gestionnaires d’actifs dans le domaine immobilier qu’auparavant, indique M. Bartlett. Les rendements élevés de l’immobilier au Canada ont accru l’attrait des immeubles d’habitation – et des propriétés industrielles et logistiques – pour les gens et les entreprises.
« Le contexte d’investissement en immobilier a été influencé par de grands joueurs, ce qui a des répercussions sur le marché », mentionne M. Bartlett.
Les régimes de retraite figurent parmi les grands acteurs de la financiarisation de l’immobilier, parce qu’on y trouve les rendements nécessaires au respect des engagements pris auprès des travailleurs en matière de retraite, précise M. Bartlett. Ainsi donc, les travailleurs, qui croient en l’abordabilité, ont en même temps des placements visant à faire fructifier de l’argent à l’aide de l’habitation.
« Il ne s’agit pas simplement d’une opposition entre investisseurs et propriétaires, comme on le présente souvent », souligne M. Bartlett.
Le gouvernement fédéral a annoncé un plan visant à contrer la financiarisation du marché de l’habitation. M. Bartlett s’attend à ce qu’il soit difficile de définir en quoi consiste un comportement inapproprié compte tenu de la manière dont les Canadiens investissent dans le marché de l’habitation.
La ruée vers les placements immobiliers s’explique effectivement en partie par les particuliers qui tirent avantage des prix élevés de l’immobilier au moment d’investir dans une deuxième ou une troisième propriété, mentionne M. Bartlett. Par exemple, les gens possédant de nombreuses propriétés représentaient le plus important groupe d’acheteurs en Ontario en 2021, soit plus du quart de tous les achats, selon Teranet, gestionnaire du registre foncier de l’Ontario. D’autres provinces, comme le Québec, ont observé une tendance semblable, surtout en qui a trait à l’achat de propriétés de loisirs durant la pandémie.
Pourquoi une hausse de l’offre de propriétés s’avérerait-elle bénéfique?
L’offre globale de propriétés est le mauvais point de référence pour la situation de l’habitation au Canada quand l’offre existante n’est pas accessible à ceux véritablement à la recherche d’un endroit où vivre, déclare M. Bartlett. La vraie question consiste à déterminer comment répondre aux besoins en matière d’offre de propriétés de la population devant se loger, et non seulement de ceux des investisseurs ou d’un petit sous-ensemble de la population, ajoute-t-il. À l’heure actuelle, le Canada possède de vastes maisons unifamiliales d’un côté et de petites copropriétés de l’autre. Il y a de moins en moins d’options attrayantes ou possibles pour les premiers acheteurs à la recherche d’un endroit où s’installer avec leur famille. C’est ce problème du « milieu manquant » du marché de l’habitation qui fait souvent l’objet de discussions, mais qu’il est difficile de résoudre.
« Nous devons accroître l’offre de logements adaptés pour les jeunes familles », dit-il en soulignant le besoin de maisons en rangée. « Nous avons ce milieu manquant en matière d’habitation dans notre pays, surtout en Ontario et en Colombie-Britannique. »
La nouvelle ère des taux d’intérêt élevés rendra ce contexte plus difficile pour les ménages, notamment ceux à faible revenu qui n’ont pas pu accumuler de réserves financières durant la pandémie, mentionne M. Bartlett. Il devrait s’agir d’une priorité pour les décideurs, ajoute-t-il.