Prévisions économiques: 10 questions à Jimmy Jean
L’état de l’économie canadienne et québécoise, la hausse des taux d’intérêt, la persistance de l’inflation, le marché du travail et la pénurie de logements ... les sujets de préoccupation se multiplient pour les ménages et les entreprises.
Vous avez été nombreux à assister à la conférence web de Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège, qui a présenté les plus récentes prévisions économiques et financières. Plusieurs internautes en ont profité pour lui poser des questions, qui n’ont pas toutes pu être répondues lors de la conférence.
Voici les réponses à 10 questions qui ont été le plus souvent posées à Jimmy Jean lors de cette présentation et le lien pour la réécoute de la web conférence.
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Est-ce que vous anticipez une hausse du taux directeur de la Banque du Canada d’ici la fin de 2023 ?
Pour le moment, non. D’abord parce qu’on vient d’entrer dans la fenêtre où les augmentations des taux d’intérêt exercent leur effet maximal sur l’économie. Ensuite parce que l’économie affiche une perte de vitesse, la consommation s’essouffle et on assiste à une certaine détente du marché de l’emploi. Une troisième raison est que les taux d’intérêt ajustés pour l’inflation sont montés à des records qui datent de 15 ans. Les marchés ont donc rajouté un resserrement supplémentaire sans que la Banque du Canada n’ait eu à intervenir.
À quel moment peut-on espérer une baisse des taux hypothécaires ?
En général, les taux d’intérêt sur les marchés devancent les mouvements des taux directeurs. Étant donné que les marchés n’anticipent actuellement aucune baisse de taux en 2024, s’ils en viennent à réviser cette hypothèse au gré du ralentissement de l’économie, ça fera diminuer les taux obligataires, et les taux hypothécaires suivront. D’après nous, cela devrait commencer d’ici la fin de l’année. Toutefois, les taux ne baisseront pas beaucoup et ne baisseront pas très rapidement. Si on renouvelle une hypothèque, il faudra tout de même s’attendre à une hausse des paiements.
Pourquoi les banques centrales gardent encore la porte ouverte à d’autres hausses de taux d’intérêt alors que les difficultés économiques commencent à s’accumuler ?
Il s’agit d’un exercice de gestion des attentes. Lorsque la Banque du Canada a cessé ses hausses de taux en début d’année, une confiance s’est installée à l’effet que le resserrement était terminé, et le marché immobilier a repris de la vigueur. Or, une reprise de l’activité économique alors que l’inflation n’est pas encore maîtrisée a pour effet d’éloigner l’horizon d’atteinte de la cible de 2 %. Pour éviter que cela se répète, on fait miroiter la possibilité d’autres hausses de taux, et le fait que la BdC soit déjà revenue à la charge avec des hausses en juin et juillet rend son avertissement crédible. Il reste que dans les faits, la Banque du Canada a aussi affirmé vouloir éviter un resserrement excessif, et puisque l’économie ralentit déjà, de nouvelles hausses pourraient s’avérer injustifiées.
La croissance démographique atteint des records et il y a une pénurie de logements. Combien de logements devront être construits pour combler les besoins en habitation ?
Nos travaux précédents ont estimé qu’avec 300 000 mises en chantier annuelles, on pourrait contrecarrer l’effet des pressions démographiques sur l’abordabilité. Pour assister à une amélioration de l’abordabilité, il en faudra sans doute plus. La cible de la Société canadienne d’hypothèque et de logement, soit de 3,5 millions d’ici 2030, nous apparaît peu réaliste compte tenu des difficultés actuelles. L’arrimage entre les nouvelles constructions et les besoins est aussi important. Par exemple, bâtir davantage de logements pour les étudiants et les retraités pourrait permettre de libérer une partie du parc de logements existant pour des familles.
Quels secteurs sont susceptibles de souffrir le plus de la hausse attendue du taux de chômage ?
En général, tout ce qui implique la consommation discrétionnaire (ex : restauration, divertissements) fait partie des composantes les plus exposées à une hausse du chômage. Les détaillants de biens constituant des achats importants (ex : véhicules, meubles, matériel de rénovation) font aussi partie du lot, d’autant plus que l’inflation et la hausse des coûts d’emprunt constituent déjà un important dissuasif. Les entreprises de prêt qui ciblent une clientèle d’emprunteurs à risque peuvent également subir des difficultés. En revanche, les secteurs essentiels comme la santé, l’alimentation, les soins personnels ou l’éducation voient très peu d’incidences.
Que pensez-vous de la décision du gouvernement fédéral d’enlever la TPS sur les immeubles locatifs neufs (de 4 ou 5 logements et plus) ?
Cela faisait partie de nos recommandations, et cette mesure semble pour l’instant bien accueillie dans l’industrie immobilière. Cela ne créera certes pas de miracles parce que les coûts demeurent toujours très élevés. Des subventions, des réductions dans les redevances de développement (comme le font certaines municipalités), et une accélération dans les délais d’approbation des permis de bâtir (où le Canada ne fait pas bonne figure) sont autant d’autres mesures qui pourront aider à faire bouger l’aiguille. Il faudra aussi que le secteur augmente le recours à des solutions préfabriquées et modulaires, plus efficientes en besoins de main-d’œuvre. La pénurie de main-d’œuvre est un phénomène structurel dans la construction.
Est-ce que la cible d’inflation à 2 % est toujours réaliste ?
Oui, mais la question est de savoir qu’il en coûte. Si des dynamiques de long terme ex : (efforts d’accélération de la transition climatique) ont pour effet de causer plus d’inflation, il faudra maintenir un taux d’intérêt plus élevé pour garder l’inflation stable à 2 %. Sans accroissement de la productivité, cela serait synonyme de croissance plus faible et de chômage plus élevé. Ça peut sembler coûteux, mais l’alternative voulant qu’on tolère une inflation plus élevée le serait encore plus. D’abord parce que les banques centrales perdraient de leur crédibilité à long terme. Ensuite, parce que l’inflation forte et imprévisible est aussi synonyme de perte de pouvoir d’achat, de dépréciation d’une devise et d’un climat d’incertitude qui viendrait freiner les investissements des entreprises.
Vous avez parlé de l’endettement des ménages, mais comment trouvez-vous l’endettement des différents pays ? Est-il trop important ?
Après la pandémie, la montée des taux d’intérêt et le ralentissement économique représentent maintenant de nouveaux défis pour les finances publiques. Les coûts du service de la dette sont en hausse, réduisant les marges de manœuvre des gouvernements pour arriver à d’autres fins. Un ralentissement économique fait naturellement augmenter les déficits alors qu’une baisse des revenus d’imposition se jumelle à une hausse des transferts aux ménages, notamment en assurance-emploi. Les gouvernements qui ne sauront démontrer être en mesure de ramener les finances publiques et l’endettement sur un sentier durable face à ces défis risquent de subir des décotes, et davantage de pressions sur leurs coûts d’emprunt. Cela peut alors demander des politiques d’austérité budgétaire, qui seraient néfastes pour la croissance et les investissements publics.
Quelles sont vos prévisions au niveau de la bourse ?
Nous continuons de tabler sur un recul un léger recul de la Bourse canadienne pour 2023. Le rebond économique que nous anticipons en 2024 devrait permettre de dégager un rendement d’au-dessus de 10 % l’an prochain, mais il faut s’attendre à passablement de volatilité. La lecture fondamentale du S&P 500 est embrouillée par la forte concentration des sociétés à grande capitalisation. Plusieurs d’entre elles ont profité de l’engouement pour l’intelligence artificielle. Si l’on exclut ces sociétés, la Bourse américaine fait du surplace en 2023. Les profits des entreprises sont en recul pour maintenant quatre trimestres consécutifs, autant au Canada qu’aux États-Unis, tandis que l’engouement pour l’intelligence artificielle commence à diminuer. Nous continuons de tabler sur un recul du S&P 500, avec un creux à 4000 au premier semestre de 2024.
Vous prédisiez une récession pour le début de 2023. Quels facteurs vous ont amené à reporter le début prévu de la récession ?
Le début de l’année 2023 a effectivement été surprenant du point de vue de la résilience de l’économie, pour plusieurs raisons. Au Canada, la plus grande surprise a été la croissance démographique exponentielle. De la mi-2022 à la mi-2023, le Canada a enregistré sa plus forte expansion démographique sur une période de 12 mois, depuis 1957 ! Même si les cibles d’immigration faisaient partie de nos hypothèses, près des deux tiers de la croissance démographique provient des résidents non permanents (dont les travailleurs temporaires), une variable sur laquelle nous avons très peu de visibilité. Un autre élément : l’amélioration des chaînes d’approvisionnement, qui a augmenté la livraison de biens qui avaient été commandés en 2022, notamment les véhicules. Les livraisons de camionnettes et VUS ont par exemple crû de 21 % annualisés au premier trimestre, trois fois plus que la moyenne de long terme. Ces facteurs nous semblent toutefois temporaires. La baisse des postes vacants devrait diminuer la demande en travailleurs étrangers temporaires, tandis que les prix élevés des véhicules et les taux qui ont été rehaussés devraient tôt ou tard causer une accalmie des ventes. Bref, même si le timing d’un retournement cyclique a toujours été difficile à prévoir pour les économistes (et c’est encore plus vrai au lendemain d’une crise pandémique), les effets de transmission qui faisaient partie de nos hypothèses sont bien visibles et un ralentissement semble maintenant entamé.